laisse moi pas là ⋆ blas

Il était sans doute sur le chemin de la bibliothèque, mais la pensée, c’était perdu, envolée. Il avait encore les quelques feuilles de notes prises ici et là. Il avait encore les livres dernièrement empruntés qu’il n’aimait rendre abimé. Ce fut un stop, un arrêt forcé.

« Regardez où vous courrez. »

Il ne prend pas le temps de noter son visage : il serait oublié, si vite perdu dans les méandres de son imagination. Il reprend conscience, doucement. Il ramasse ses affaires, une par une. Le sol toujours en vu, il n’a pas encore pris conscience. Oui, il s’assure qu’aucune de ses affaires n’a été abîmé. Là, une page cornée, là, son esprit s’effrite doucement. Il n’aime pas le désordre, Blas. Il n’aime pas les imprévus. Il laisse claquer sa langue, une fois.

« Est-ce que ça va au moins ? »

Il la regarde de loin. Il oublie qui elle est : le savait-il, devait-il le savoir ? Ce n’est qu’un détail. Il regarde encore les feuilles si blanches dispersées au sol. Il regarde encore sous son pied les écrits destinés à une autre personne, perdu sous les traces de leurs semelles ayant dansés dans le choc.

Encore, la langue rencontre le palais. Il est embêté, pas vraiment amusé. L’a-t-il été ? Il lui jette un dernier regard, noirceur. Il lui jette un dernier regard comme pour s’assurer qu’elle ne reviendra pas se joindre à sa foulée. Sous le bras à présent, les cahiers récupérés, les livres miraculés. Il récupère au passage, ses notes écrites et si bien articulées. Elles auraient été destinées, pour une fois, à quelqu’un d’autre. Elles ne serviront plus à rien là ou déjà Blas, abandonne tout salut.
Si, il la laisserait là.

Il n'attend même pas la réponse : quel intérêt dans toute la politesse s'en suivant.

Poignet pris entre des doigts inconnus, le voilà retenu captif. À peine le temps de lui faire tomber sa garde, de glisser tes os en dehors des siens (la peau glisse au contact de l’autre squelette.). Il n’y a aucune intention dans le geste, une simple surprise, un instinct de survie qu’il possède encore, dont il ne pourra jamais se débarrasser. Ne pas se faire prendre, ne pas se laisser abattre, corps au sol, esprit retenu par l’invisible.

« Mon nom est Blas. »

Il compte les questions, laisse divaguer son esprit. Il doit au moins tenter d’articuler les réponses, doucement déposer dans l’air les phrases qui apparaissent à son esprit comme une vision. Il la regarde, hagard. Il ne l’a jamais vu. Pourtant qu’elle sache son nom n’ose faire naître dans son esprit aucune méfiance. Il touche de son autre main l’endroit par lequel il a été détourné de ses fantaisies. Le contact laisse une empreinte fraîche.

« Et je peux aimer la poésie, parfois non. »

Il a sans doute mis un certain temps à y réfléchir. Mais Blas ne sait dire ce qu’il aime, ce qu’il déteste. Blas vit dans un monde parsemé de gris quelques fois s’évaporant, sans lumière, sans valeur ou couleur. Alors, que dire ? Il regarde les papiers coincés sous son épaule. L’empreinte de pas est tout aussi fraîche que la mémoire de la chair sur la sienne.

« Mais ce n’est pas cela qui a été abîmé, alors ne t’en fais pas. »

Et elle ne pourrait en aucune manière l’aider à réparer ses erreurs : il écrirait la suite de lui-même. Il ne montrerait le chemin de ses pensées qu’il s’est enfin décidé à sortir de là, sortir de sa belle cage sans saveur, sans or pour la faire paraître réelle, admirable. Il fait quelques pas en arrière, comme pour la garder dans sa vision sourcils froncés et tandis qu’il s’apprête à s’en aller, voilà que l’idée d’une politesse traverse son esprit :

« Pourquoi ? »

Il en oublierait les raisons où demanderait encore trop d’explication. Elle perdrait patience là où il ignorait les raisons de la collision. Il n’a pas les yeux ouverts, pas l’audition assez fine pour attendre la pression montant doucement dans l’air. Il ne sent rien, Blas. Et il préfère faire durer cette sensation, il est si bien dans l'ignorance après tout. Pourquoi changer ?