Page blanche // Ft Blas

Cela faisait plusieurs fois qu’elle le voyait emprunter les mêmes livres qu’elle et cela faisait plusieurs fois qu’elle voulait aller lui parler. Elle était curieuse, un peu trop peut être et voir ainsi une personne partager autant de ses goûts en matière de lecture lui avait forcément donné envie d’en savoir plus. Mais elle n’osait pas. Elle n’osait jamais de toute façon.
Alors elle regardait de loin sans pouvoir rien faire.

Jusqu'à aujourd’hui.

Peki s'était accrochée à ses livres comme on s’accroche à une bouée pour ne pas couler. Elle avait les mains moites et les jambes qui tremblent. Peki se sentait fondre dans le sol à chaque pas qu’elle faisait qui la rapprochait de cet inconnu aux goûts tant similaires.  Elle sentait la chaleur lui monter aux oreilles et sa respiration se faire de plus en plus courte. Elle ignorait ce qui l'avait finalement poussée à faire le premier pas, mais elle s’en voulait déjà terriblement.

Et puis elle ne pouvait pas retourner à sa place comme ça maintenant. Tout le monde la regardait faire son aller-retour bizarre au milieu de la bibliothèque sans raison. Certain se dirait qu’elle est cheloue voir pire, qu’elle est stupide. Non, vraiment, il fallait qu’elle finisse ce qu’elle avait entamé.

Son trajet vers la table voisine lui semblait avoir duré une éternité, mais finalement elle avait fini par y arriver. Elle serrait son ouvrage de La Bête Humaine contre son torse pour masquer sa respiration déjà presque haletante et lança finalement un calme “Bonjour.” À l’inconnu aux cheveux clairs. Elle savait y faire pour tromper ses émotions, elle avait l’habitude maintenant. Cela faisait un moment que sa voix ne tremblait plus lorsqu’elle le devait et que ses yeux ne fuyaient plus.  

“Je peux m'asseoir ici ? J’ai remarqué qu’on lisait souvent les mêmes livres alors je me demandais si tu voulais discuter un peu.”

Catastrophe. Cette façon de parler la faisait passer pour une terrible personne même si elle ne savait pas vraiment pourquoi. Il fallait qu’elle se rattrape, vite.

“ E-enfin si tu veux, ahah”

Catastrophe². Sa politesse maladroite avait trahi son stress. Tant pis, il était trop tard pour recommencer sa phrase maintenant. Elle affichait un sourire qui se voulait rassurant, mais lui déformait plus le visage qu’autre chose.

Un frisson parcourra son échine lorsqu’elle entendit pour la première fois la voix de ce parfait inconnu. C'était bizarre, mais elle ne s'attendait pas vraiment à une quelconque réponse. En fait, en son for intérieur, elle aurait sûrement même préféré qu’on ne lui réponde pas du tout.

Elle racla sa gorge doucement puis prit place à côté du jeune homme en ayant l’impression de faire un vacarme assourdissant a chacun de ses mouvements.

Peki n'était pas le genre de fille à aller voir les gens sans avoir préparé son discours avant aussi elle savait déjà à l’avance exactement ce qu’elle allait répondre, elle avait prévu la première question mais pas la seconde. Elle en eut le souffle coupé.

Tout autour d’elle était soudainement trop fort, trop bruyant, trop lumineux et trop agaçant. Elle eue l’impression de tomber dans un trou qu’elle ne pouvait plus remonter, son esprit s'était mis à divaguer et rien ne lui venait à l’esprit, là, tout de suite, pour répondre à son interlocuteur.

“Euh, huh…”

Elle l'avait dérangé, bien sûr qu’il allait être en colère, c'était obligé, en plus une fille aussi bizarre qu’elle ne donnait franchement pas envie a ce qu’on lui adresse la parole et puis de toute façon personne n'avait lui parlais et puis aussi elle avait une voix qui agaçait et puis, et puis.

Et puis rien. Le blanc total. Pendant une seconde, son esprit se mit en mode off. Mais il en fallait plus pour la mettre hors d'état de nuire.

Allez Peki ressaisie toi, tu ne peux pas fuir maintenant, il est bien trop tôt pour ça. Excuses toi au moins, non ?

“Ah, désolée, c’est vrai que c’est un peu bizarre, ahah…”

Elle se gratta le haut du crâne pour cacher sa nervosité.

Peki voulait changer et montrer qu’elle était mal à l’aise n'étais absolument pas un pas vers la bonne direction. Il fallait qu’elle se ressaisisse et vite. Elle continua de tripoter ses cheveux et remit une de ses mèches derrière son oreille droite puis reprit la parole d’un ton à peine plus calme que précédemment.

“Eh bien, j’aime bien entendre l’avis d’autres personnes sur ce qu’ils ont lu, le point de vu peut-être différent et c’est assez intéressant de, enfin, de comparer les deux, tu vois ?”

Bien, elle s’en sortait parfaitement. Divinement même, elle n'avait même pas bégayer une seule fois.

Elle se déride enfin. Elle a l’impression d’avoir réussi à franchir le plus grand obstacle de toute sa vie et cela la rend infiniment fière d’elle. Rien de bien surprenant quand on connaît l’engin, d’ailleurs. Son habitude a trop s’en faire lui a causé bien du tort, mais pas aujourd’hui. C'était sa petite victoire à elle. Elle cessa enfin de jouer timidement avec ses cheveux puis réussi à reprendre sa confiance d’apparat qu’elle aimait montrer à qui voulait voir.

“Bien sûr. Enfin, un avis, j’en ai déjà un, mais ce qui m'intéresse, c’est d’entendre le tiens.”

Elle avait enfin réussi à phrasé correctement ce qu’elle avait eu envie de lui dire depuis tout ce temps ! Quelle journée. Si ses parents entendaient ça ils... Bah rien en fait, ils n’avaient aucune idée des difficultés qu’avait leur fille à faire ce genre de petites choses, en réalité, mais peu importait maintenant.

“Après tout, d’après moi, la lecture ne consiste pas seulement à lire un livre, mais également à y réagir. Enfin, évidemment, ce n’est que mon avis, coupe moi si tu ne le partage pas, mais, toute œuvre d’art nécessite des réactions pour être mieux appréciée et la littérature n’y échappe pas.”

Ses yeux s'étaient plongés malgré elle dans ceux de son camarade et ses paroles dégageaient un air passionné qu’elle n'avait que lorsqu’elle parlait d’un sujet qui la passionnait.  

“Tiens, par exemple, je sais qu’on a tout les deux lu Candide, tu en penses quoi de la fin ? J'aime beaucoup la littérature française, ahah. ”

Elle n’avait pas choisi ce livre au hasard puisqu’il s’agissait non seulement d’un grand classique, mais également d’un de ses ouvrages favoris alors elle était sûre d’avoir matière à discuter sur le sujet.

Son courage ne dura pas et bientôt elle se reprit à penser que sa présence n'était pas voulue. Qui était-elle pour l’interrompre ainsi dans sa lecture ? Il avait raison de ne pas vouloir partager son ressenti, ils ne se connaissaient même pas. Elle a un mouvement de recul lorsqu’il lui annonce ne vouloir garder son ressenti que pour lui. Elle ne s'attendait vraiment pas à une réaction aussi sèche et une boule se forme dans sa gorge.

“O-oh…”

Ses épaules se rabaissent soudainement et ses yeux perdent de leur éclat en un instant. Elle se rend finalement compte que depuis le début sa venue ici n'étais pas la bienvenue. Elle se sent néanmoins de répondre à son ultime question, pour ne pas le décevoir une nouvelle fois.

“E-euh, j’aime quand les gens ont un avis différent du miens comme ça, ça me permet de voir des choses d’un autre angle et ça rend la relecture plus intéressante et... Enfin... Tu vois.”

Elle déglutit avec difficultés et s’essuie des larmes qui s'étaient mises à roulées sur ses joues sans qu’elle s’en rende compte.

“Pardon, je voulais juste faire la discussion, pas t’embêter, vraiment.”

Elle se mit à fuir le regard de son camarade, elle qui l'avait tant cherché quelques minutes auparavant ne voulais plus qu’on l’ignore maintenant.

“Désolée...”

Elle abandonna le peu de dignitée qu’il lui restait et renifla bruyamment en acceptant le mouchoir qu’il lui tendait. Peki hocha doucement la tête lorsqu’il lui expliqua trouver cela peut être trop compliqué pour le moment. Evidemment. Elle aurait dû y penser plus tôt. Sa façon de voir les choses n'était universelle. Elle hocha plus vigoureusement de la tête après avoir accepté ce fait.

“ C’est vrai ? C’est gentil…”

Elle se moucha puis repris après avoir retrouver son calme.

“T’es gentil ! Au fait moi c’est Peki mais t’es pas obligé de t’en souvenir ! Désolée encore de m’être imposée a toi comme ça.”

Son enthousiasme retrouvé, elle est maintenant de nouveau prête à pouvoir discuter normalement. Honnêtement les émotions de Peki semblaient être une sorte de roue de la fortune bloquée entre “ joie “ et “ tristesse” ce qui la mettait souvent dans des situations délicates alors elle était heureuse de voir que son trop-plein d'émotion n’avait pas choqué plus que ça son camarade.

“Oh ! Oui, c’est moi, tu es perspicace.”

Elle, en revanche n’avait aucune idée que le nom de ce garçon était Blas, au contraire avant qu’il le lui montre, elle n’y aurait même, franchement, jamais pensée et pourtant elle était relativement vive d’esprit.

“C’est un très bon livre.”

Elle était heureuse qu’il lui pose la question. Heureuse d’avoir enfin réussi à faire un pas en avant dans cette catastrophe qu’avait été cette conversation.  Les étoiles avaient repris leur place dans ses yeux et c’est la bouche en cœur qu’elle répondait à l'inattendue question.

“Mais la fin est décevante, je m’attendais à ce que Marie meurt dans une situation plus intéressante que celle-ci. Par exemple, tout le long du livre, on a plusieurs signes qui rapportent aux mains de l'héroïne et au fait qu’elles aient souvent un rapport avec son métier comme lorsqu’elle apprend à maîtriser son arme à feu et que cela est décrit via ses mains seulement. Et puis le fait qu’elle finisse avec quelqu’un alors que durant l’aventure, on voit à travers ses yeux à quel point ceux-ci tentent de se détourner de tout les signes d’amour que Henri lui fait m’as un peu déçue. Alors la fin qui termine le livre sur une mort aussi banale et peu emblématique forcément ça m’as laissé sur ma faim. ”

Elle s’interrompt soudainement.

“Attends, tu le lisais ce livre, je te spoil la fin non ? Oh mon dieu.”

Panique.