●● être aimé, hors de là rien n'existe - hyunbin

Quelle plaie que celle d'être amoureux ! Ah, vraiment. Ils s'étaient dit trois mots interdits la veille au soir, et depuis ses pensées étaient... ailleurs. Ailleurs, c'était bien le terme. Il n'avait pas fait cours comme d'habitude, il laissait ses mots mourir dans sa gorge toutes les cinq minutes et devait se rendre compte à l'évidence; et murmurer un petit j'ai oublié ce que je voulais dire dépité.

Il sortait de la salle de classe et laissait ses élèves vaquer à leurs occupations pendant quelques heures. Deux heures de pause lui semblaient soudainement idéales et nécessaires, surtout quand il voyait Usui baver sur ses cours recouverts de dessins, Eun perdre son regard dans le ciel gris pour la énième fois, et Orestes faire tomber son stylo par terre pour la 89ème fois et rigoler un peu bêtement en observant le cadavre de crayon par terre. Même Ciel commençait à être un peu dissipé. Et Ciel dissipé, c'était son signal pour arrêter le cours. Alors il avait attendu qu'ils passent au petit b) du grand 1/ de la partie A du chapitre sur la politique d'Adonie pour faire une pause bien méritée. De toutes façons il commençait lui-même à confondre les dates et dire n'importe quoi. Vive l'histoire-géographie.

S'il s'attendait à croiser Hyunbin dans le couloir ! Il aurait dû, pourtant, puisqu'ils travaillaient dans le même bâtiment. Mais évidemment, non, et il sentit son coeur faire un bond colossal dans sa poitrine. Aie. Les pommettes rougies, il passe près de lui et lui accorde un sourire poli, quoiqu'un peu nerveux - une nervosité adolescente, innocente.  

* Bonjour, Hyunbin.

Il se doute qu'il était un bien piètre comédien, mais ça n'a pas d'importance puisque le couloir est vide; il n'y a pas un chat et il en profite pour faire tomber les masques et lui faire un petit signe de la main, timide. Il est tout sourire et leurs yeux ne se détachent pas l'un de l'autre et évidemment...

Evidemment il se paie un mur, puisqu'il avait oublié qu'il fallait tourner, à la fin du couloir. Ça résonne et il recule un peu, vacille, finit assis par terre. C'était... très gênant. Il se tient le visage dans les mains, toujours prostré sur le sol.

N-Ne t'inquiète pas, je vais bien..

Oh, qu'ils puissent s'étreindre encore un peu. Il soupire doucement, lové dans les bras de son amant, respirant son odeur à grandes bouffées pour être sûr de ne pas oublier. La mèche immaculée glisse des doigts de Hyunbin pour venir chatouiller sa joue rosie et il sourit, timide aux premières secondes puis finalement, son sourire s'étend, éclot comme un bourgeon au printemps. Cela lui paraît difficile de contrôler ses émotions en présence de l'autre homme.

* Ce n'est un secret pour personne.

En tous cas, pas pour Hyunbin, qui a pu le découvrir ces dernières semaines, ce dernier mois; il n'avait rien de l'ange parfait qu'il paraissait être, au contraire. Si son regard innocent se teintait d'un éclat de malice parfois, prêt à faire toutes les idioties du monde, ce n'était rien comparé à ses mains maladroites et à ce don particulier qu'il possédait, lui permettant de commettre toutes les catastrophes possibles et imaginables en un temps record. Il s'offrait à Hyunbin, se découvrait petit à petit; lentement, les masques tombaient pour révéler un visage poupon, marqué par une enfance volée qu'il tentait de remettre au goût du jour avec difficulté, loin du regard dur des hautes sphères contrôlant le domaine.

* Je... suis content qu'on se croise enfin.

Ce n'était pas si rare que ça, mais c'était quand même une occasion dorée à chaque fois, c'était un éclat qui illuminait soudainement son visage, qui faisait bondir son coeur au creux de sa poitrine. Il se détacha finalement de son amant, apeuré à l'idée de se faire repérer par des yeux indiscrets. Il y avait toujours quelqu'un pour arpenter ces couloirs moroses en même temps qu'eux, toujours une oreille pour être tendue dans leur direction. Il se recule avec un petit mouvement de la tête timide, ses lèvres pincées et son regard baissé sur le carrelage froid.

* Tu m'as manqué. Mais bon, j'allais venir te demander si tu voulais manger avec moi ce midi.

Il connaissait déjà la réponse, évidemment, mais toutes les excuses étaient de bonnes excuses.

Il lui adresse un sourire tendre, ses doigts fins allant chercher la main de Hyunbin avec toute la douceur du monde. Qu'importe s'ils se font repérer - il n'a rien fait sinon effleurer sa main ! La différence de taille est frappante et le fait rire, tout bas.

* Ce n'est pas grave. Tu me donneras ton dessert, disons.

Il triture une manche de chemise, caresse du regard le visage de son amant en soupirant tout bas. Il comprend la peur de l'autre homme, en vérité il peut la ressentir; elle s'accroche à lui et le bat comme un vent violent. Il ne sait pas quoi faire pour le rassurer, a l'impression que toutes les belles paroles du monde ne parviendraient pas à faire retomber la pression, à éloigner le danger. Notamment parce que le danger est bien présent, parce qu'ils y mettent en jeu leurs vies. Et qu'est-ce qu'on dirait ?

* J'espère juste ne pas être trop envahissant avec toi.

Il a juste besoin de la présence de Hyunbin près de lui pour se sentir serein, surtout dans un environnement pareil. Ses yeux bleus se perdent dans ceux sombres du plus grand, et il pince les lèvres doucement; avant d'esquisser un petit sourire triste. Il garde la main de Hyunbin tendrement serrée dans la sienne, dans un silence presque artistique, reposant. Il n'y a rien entre eux deux; sinon toute âme respirant au coeur du domaine. Chaque personne représentait un danger potentiel.

* J'aime juste beaucoup l'idée de t'avoir près de moi un peu plus longtemps.