●● respire en souriant un bouquet d'agonies - hyunbin

la pointe du stylo glisse agilement le long de la feuille ; courbes tracées, un point et un retour à la ligne, il inscrit un barème sur le côté droit, presque distraitement. et puis il relève la tête vers hyunbin debout à ses côtés et lui sourit, tranquille, lui assis au bureau. ils se connaissent, ils se découvrent ces derniers temps - voire même, ils se cherchent. se taquinent, se parlent, s'apprennent. ça lui fait plaisir, lui, à abrahel.

* est-ce que ça te convient ?

ils sont censés se détester, mais hyunbin doit retrouver en lui les traits de son chef bien-aimé ; bien que les jeunes hommes ne se soient jamais rencontrés et jamais parlé, l'influence du Père pèse sur leurs épaules, se distingue dans leurs yeux.

* j'ai essayé de suivre tes directives mais j'ai l'impression de toujours tout faire de travers.

il soupire et se relit, minutieux. il se relit à voix haute pour que hyunbin puisse comprendre les lettres cursives qui se bousculent sur le papier, les boucles imprécises qui s'alignent les unes après les autres. une main délicate se perd dans une mèche de cheveux, il l'enroule autour de son doigt distraitement, puis pose son poing contre sa joue. ses yeux se plissent et il fronce les sourcils, soudain.

* oops. mince. 'fait chier.

et voilà, une rature. il se pince l'arrête du nez et pousse la feuille plus loin, loin de lui. et puis il se lève et observe hyunbin. la différence de taille le crispe et le pousse à s'éloigner un peu plus. il est tard, la lune est haute dans le ciel. le vent bat aux fenêtres violemment, mais il se sent calme. reposé, même. c'est rare.

* est-ce qu'il nous reste des copies à corriger ?

ça avait commencé par eux discutant, apprenant à se connaître il y a quelques semaines. et puis il avait remarqué que hyunbin ne lisait pas. n'écrivait pas. lui qui avait l'air si cultivé, pourtant. alors, fourbe, il lui avait demandé quelque chose d'idiot, simplement lui écrire quelque chose, s'il se souvenait bien (il avait mauvaise mémoire) - mais hyunbin ne l'avait jamais fait. alors petit à petit, comme on apprend à un enfant, il lui apprenait à lire, à écrire. pourquoi ? par passion pédagogue, certainement. mais bientôt, les copies de hyunbin étaient devenues les siennes - ses étudiants devenaient les siens, il commençait à les connaître par coeur.

peut-être que l'affection qu'il portait envers hyunbin y était pour quelque chose.

il avait un livre abandonné sur sa table de chevet, auquel il jeta un regard presque dédaigneux avant de s'asseoir sur le bord de son lit, les jambes croisées en tailleur. il y avait abrahel et il y avait hyunbin. si les liens qui les liaient étaient tachés de sang, il espérait tout de même en faire quelque chose de beau, à un moment ou un autre. il y avait la lune qui se découpait dans le ciel, il y avait la pluie qui commençait à frapper contre la fenêtre. la lumière vacillante de la lampe de chevet, les piles de dossiers qu'ils accumulaient, tous les deux.

* non, pas vraiment.

la chose lui revenait en rêves. ce n'était pas arrivé depuis un moment, et il haïssait se réveiller en sueur, ses cheveux collés à son front, les yeux fous, la respiration sifflante. ils économisaient un lit, ces temps-ci. c'était venu naturellement - hyunbin s'endormant contre lui alors qu'il lui lit quelque chose d'insignifiant, de la poésie peut-être. et abrahel n'osant pas le réveiller, ou alors il n'avait pas le courage, l'un ou l'autre. alors ils s'endormaient, l'un contre l'autre, marquant un interdit qui aurait pu leur valoir d'être expulsé du domaine. et pour abrahel, l'expulsion, c'est la mort. le Père ne tarderait pas à le rattraper et signerait sa fin. frisson, il soupire à nouveau.

* tu fais du café et tu me demandes si je veux dormir.

il rit un peu et saisit la tasse que son colocataire lui tend, avec précaution. il est encore capable d'en renverser ou de casser la tasse donc il fait attention, au moins autant qu'il le peut. il échange un regard avec hyunbin qui doit certainement se dire la même chose, de son côté.

depuis peu, ils se comprennent sans dire le moindre mot. ça lui fait peur, mais les frissons qu'il en tire sont bien trop agréables - il sourit, doux.

* et toi ? qu'est-ce que tu veux faire ?

l'ennui est un ennemi fatal. peut-être qu'il a participé à leur rapprochement, mais tout de même ; ils se font chier.

* je m'ennuie, il geint, reposant la tasse sur la table de chevet avant de se laisser tomber sur le lit, mollement. bon sang, hyunbin, je m'ennuie comme un rat mort.

il grogne et soupire, se tourne et se retourne pour finalement se laisser allongé sur le côté, observant hyunbin lui parler avec un fin sourire flottant sur ses lèvres. il ne sait pas ce que c'est, cette idylle qu'ils partagent vaguement ces derniers jours. il sait juste qu'il en avait besoin, l'air de rien. c'est agréable. ça n'a probablement pas d'espoir, pas la moindre chance de pouvoir construire quoi que ce soit de concret, mais c'est là. et il aime bien. hyunbin, la chambre 20 du rez-de-chaussée, c'est un petit peu son secret.

* oui, c'est vrai., il réfléchit un peu, observant le plafond. cela faisait un moment que je ne m'étais pas attardé pour regarder les étoiles.

il remercie mentalement hyunbin, en silence, d'une voix étouffée. le plus vieux lui aurait déjà dit de ne pas le remercier s'il l'avait fait à voix haute. il sourit de plus belle, contemple leurs mains liées, et finalement se retourne sur le ventre, soupirant doucement, détendu.

* je ne sais pas si on a le droit de peindre les murs.

honnêtement, ça l'étonnerait. le personnel du domaine lui semble être du genre très strict, et s'il n'y voit pas d'inconvénient, il ne veut pas non plus se faire taper sur les doigts. soupir, à nouveau. il se rapproche, vient caler sa tête contre l'épaule de hyunbin en lui souriant, un éclat amusé au fond des yeux.

* je n'ai pas de peinture, juste des crayons. je te dessinerai le ciel sur mon carnet, si tu veux. ça ne me dérange pas de décoller une page, si c'est pour te la donner.

il est doué, abrahel. il aurait eu tant à apprendre aux étudiants vermeils ! et au lieu de ça, il se retrouve coincé avec des cobalts qu'il n'apprécie pas plus que ça. alors, oui, on lui a souvent fait la morale sur le lien psychologique qu'il doit entretenir avec ses étudiants, mais lui peine à l'établir ; les adolescents l'ennuient, et ce n'est pas agréable de faire cours avec eux. alors, forcément...

* je n'ai pas envie de retourner en cours, demain.

on dirait un declan miniature (oh, ironie, quand tu nous tiens). il plisse les yeux et fait la moue, cachant son visage contre le bras de hyun. leurs mains toujours liées, leurs doigts toujours entremêlés, et le vent qui bat contre le carreau régulièrement. un silence s'installe, alors qu'il relève la tête pour l'observer, ses yeux se perdant dans les siens. quelque chose se passe, mais quoi ? il ne sait pas. quand il regarde hyunbin, il a l'impression de ne rien savoir.

il y avait un homme dans sa vie, autrefois. qui lui avait fait beaucoup de mal. mais, c'était réciproque, il avait supposé à l'époque, quand leurs chemins s'étaient séparés et qu'ils avaient commencé à se détester. cette histoire ne pouvait pas bien se finir, car elle ne s'était pas bien commencée. quand il l'avait traité de monstre, il s'était dit que c'était peut-être vrai. ce qui était arrivé à la chose ne comptait pas, mais la façon dont son coeur se couvrait de glace pour se protéger de quelconque sentiment relevait de la monstruosité.

au contact de hyunbin, c'était comme si son coeur se réchauffait, lentement. il lui arrivait de sourire, de rougir, de perdre ses moyens. de penser à une vie loin des giclées de sang, loin du destin fatal, loin de cette monstruosité qui caractérisait tant leurs quotidiens. s'il souhaitait éloigner hyunbin du champ de bataille, ce dernier avait le pouvoir d'éloigner abrahel de tout ce qui le rendait inhumain.

il aimait hyunbin, comme il avait aimé cet homme auparavant, mais il y avait quelque chose en plus, sans qu'il ne sache quoi. seulement, une épée de damoclès flottait au-dessus de leurs têtes. et ils ne pouvaient rien y faire ! triste sort; il s'y était fait. il n'avait pas envie de se battre, car cela aurait fait encore plus mal.

* j'en doute. mais je suppose qu'il y a un moyen de changer les choses. après tout il y a toujours une solution, quel que soit le problème.

il ne savait pas vraiment si ce qu'il disait avait du sens, mais ce n'était pas si grave. il observait leurs mains liées, un sentiment amer sur la langue. malaise. soudainement, il angoissait, mais il essayait de taire cette sensation pour se concentrer sur hyunbin.

* distrais-moi, sinon je crois bien que je vais péter un plomb.

il conclut sa tirade d'un petit rire amer, le suivant se lever du regard puis le rappelant vers lui, bras tendus.

oh.
bien.
peut-être qu'il va péter un plomb, finalement, mais ce ne sera pas pour la raison à laquelle il pensait. pourtant, il ne peut retenir un sourire en contemplant les lettres maladroites inscrites sur son bras. quelle idée d'écrire sur son bras. mais d'un côté, ça rajoute un côté sincère à la chose, à ces mots qu'il a déjà tant dit, prononcés à tors et à travers.

il hésite et puis finalement il lui rend la pareille, discrètement, écrit en toutes petites lettres semblables et pourtant si différentes à celles qui ornent sa propre peau. et puis ils s'observent, sans rien se dire, parce qu'ils savent déjà tout. ils savent déjà tout et il n'y a rien à se dire. le silence est d'or dans un lieu comme le domaine des astrales, remplis de gamins. finalement, il succombe à la tentation, et il prend la parole, brisant ainsi le silence instauré.

* c'est dangereux.

oh, oui, comme ça l'est. il pince les lèvres et se redresse pour se mettre assis, ses yeux ne quittant pas ceux de hyun - se perdant dans l'obscurité de ses iris. leurs regards contrastent tant que ça le fait sourire. un rien le fait sourire, abrahel.

* mais si on me demande, je dirais que je ne regrette pas.

il se redresse sur ses genoux et s'avance maladroitement pour venir l'enlacer; ses bras mollement passés autour de son cou, sa tête posée sur son épaule, son corps timidement penché près du sien. alors c'est ça, maintenant ? le jeu. leur vie. il ne voit rien à y redire, mais il ne peut s'empêcher de penser que c'est cruel de se trouver ici. la pensée d'une fin sanglante ne le quitte pas alors qu'il laisse le silence s'installer à nouveau, ne cherchant pas à délier leurs corps, profitant de sa chaleur.

oui, il devrait dormir. ils devraient dormir, parce que demain risque d'être rude, demain risque d'être terrible. rien que d'y penser, il angoisse un peu. c'est un pincement au coeur qui ne le quitte pas, qui le fait soupirer, le souffle vacillant. comme un enfant terrifié, il vient se cacher contre hyunbin, protéger son corps du sien. mais il ne veut pas briser leur étreinte, même si sa position est inconfortable, même s'il n'ose plus bouger. le moment est trop précieux pour le laisser filer comme ça, sans s'y accrocher un peu.

* est-ce que je peux dormir avec toi ? qu'il demande, alors qu'il sait déjà la réponse.

il défait toujours ses draps, mais au final ne vient jamais se caler en leur creux. c'est toujours dans les bras de hyunbin qu'il s'endort, paisible, reposé. loin de la chose qui le hante, comme si hyunbin le protégeait. loin du froid il s'endort. il a conscience qu'ils ne devraient pas. mais ils le font quand même, alors pourquoi se torturer l'esprit comme ça ? il soupire.

* dormons.

pour une fois, il semble raisonnable. il recule, se décale, puis s'allonge, minuscule dans les draps de hyunbin; ses cheveux immaculés étendus sur l'oreiller, comme des nuages doux éparpillés ça et là. il lui sourit, il n'est que douceur et terrible tentation. il faudrait être fou pour jouer avec pareil feu - mais il adore que hyunbin succombe à chaque fois. il le contemple, lui encore assis sur le lit.

* tu viens ?

C'est une idylle qui ne durera pas. Il a le coeur léger et lourd en même temps, pour certaines raisons qui l'angoissent tant. Que se passera-t-il s'ils sont découverts ? La mort les attend au tournant. Il reste blotti contre Hyunbin, profitant de la chaleur rassurante de son corps et des battements réguliers de son coeur alors que ses yeux se ferment lentement.

Lui qui a tant connu le froid, tant connu la neige sur son corps presque endormi, ça le fait sourire de sentir la peau brûlante de Hyunbin contre la sienne, toujours froide, comme si l'hiver avait marqué son corps à jamais. Il soupire doucement, reposé, paisible. Les lèvres de Hyunbin se posent tendrement sur les siennes, et il lève la main pour effleurer sa joue du bout de ses doigts, le corps rendu déjà lourd par le sommeil.

Dans son monde, il n'y a rien d'autre que Hyunbin et lui. C'est son rêve; un monde de calme, de sérénité, où le sang ne coule plus. Où ils s'élèvent en rois, loin de tous ceux qui pourraient leur faire du mal. Il n'y a rien entre Hyunbin et lui, rien qui ne pourrait les séparer. Et en cet instant, il a l'impression qu'ils sont éternels.