nos jours heureux // casio

il s'était réveillé ce matin-même avec la sensation fugace de son corps contre le sien, blotti, le laissant profiter de sa chaleur. il avait vite réalisé que ce n'était qu'un mirage, la fin d'un songe, laissant son coeur creux, vide. il fallait bien se rendre à l'évidence, clyde se sentait seul. terriblement seul, même, si bien que cela commençait à impacter sur son moral et sa façon d'être. si les remarques acides de son colocataire ne l'atteignaient toujours pas, il n'y répondait plus avec le même panache, la même fougue. de ce fait, ces derniers temps, brimnes se heurtait à un mur dès qu'il tentait de blesser clyde.

il avait eu des nouvelles de sa très chère sœur peu de temps auparavant, par le biais d'une lettre. ça avait suffi à le mettre au fond du trou, et il ne savait pas s'il allait devoir y répondre, lui qui n'avait même pas pris le temps de lire ce qu'elle lui avait écrit. la sensation d'effroi qui le traversait quand il posait le regard sur les symboles soigneusement disposés bien au centre de l'enveloppe était suffisante pour qu'il n'ait pas envie de lire le contenu de la lettre; alors il la conservait sur son bureau, posée avec minutie à l'écart du reste de sa paperasse. il faisait comme si cela lui importait peu, mais qui prendrait la peine de la disposer avec autant de soin bien en évidence si cela n'avait aucune importance ?

et puis surtout, qui prenait encore la peine d'écrire des lettres en 2018 ?

il laissait ses démons et ses troubles au placard à l'instant où il mettait un pied hors de sa chambre. brimnes était bien le seul à pouvoir apercevoir son vrai lui une fois que les lumières s'éteignaient, une fois que clyde se trouvait à l'abri des portes closes ; et encore, une fois son masque retiré, son vrai visage restait ténu. il ne restait plus grand-chose de clyde une fois les strass et les paillettes retirés.

mais il faisait toujours très attention à l'image qu'il donnait de lui-même aux autres, et en particulier aux étudiants qu'il côtoyait au quotidien. la plupart d'entre eux lui paraissaient relativement stupides, ou au moins aussi idiots que pourraient l'être des adolescents de son point de vue. mais il devait avouer que certains sortaient du lot. c'était le cas pour la plupart des élèves du club théâtre, qui savaient se démarquer de bien des manières.

l'un d'eux était kazuo. curieusement, il gardait un souvenir amer de ses interactions avec lui, pour une raison qui lui échappait systématiquement. pourtant, le môme n'était pas des plus menaçant ni des plus retord, contrairement à certains gamins du groupe d'étude dont il avait la charge. peut-être que la présence de kazuo le mettait mal à l'aise car il avait l'impression de se contempler dans le miroir quand il l'observait, ou bien était-ce l'impression de se confronter à sa très chère soeur quand il lui adressait la parole qui était la cause d'un tel malaise. l'un ou l'autre. dans tous les cas, l'existence même de yuhara kazuo faisait se hérisser les poils sur sa nuque, et l'air de rien, subtilement, il faisait de son mieux pour ne pas avoir à interagir avec lui.

il observait le garçon ranger ses affaires au premier rang, et au vu de la lenteur presque irréelle avec laquelle il le faisait, clyde avait tout de suite deviné que yuhara cherchait à rester dans la salle de club le plus longtemps possible. ce n'était pas nouveau, à chaque cours il essayait de grappiller quelques secondes, quelques minutes de plus, jouant avec ses nerfs par la même occasion. il jeta un regard désabusé par la fenêtre, se perdant un instant dans le ciel gris sombre, dans les arbres battus par les vents violents à l'extérieur. du coin de l’œil, il saisit le mouvement de l'étudiant qui s'approche de lui, le clac clac clac spécifique de ses talons se rapprochant de plus en plus - presque jusqu'à en devenir assourdissant, et il ne retient qu'à peine son soupir. au lieu de cela, il se tourne vers lui, un sourire brouillon se dessinant sur ses lèvres.

* monsieur yuhara ? vous avez une question ?

quoi d'autre, sinon.

ah, oui. il aurait dû la voir venir, celle-ci. un fan. pourquoi est-ce qu'il ne s'en était pas rendu compte plus tôt ? qu'on soit clairs. clyde adorait la célébrité. être connu, bien qu'il n'ait pas eu le choix en étant fils de célébrités, c'était un petit miracle dont il ne pouvait pas se passer. mais les fans ? il les évitait comme la peste. bien sûr, il faisait comme si de rien n'était en leur présence, il faisait comme s'il les adorait, comme s'ils l'avaient construit. comme si leur affection pour lui faisait de lui la personne qu'il était aujourd'hui.
bien sûr, c'était un mensonge, mais c'était son métier de mentir. c'est bête, parce que tout le monde utilise cette phrase à tort et à travers, mais c'était, cruellement, la vérité.

il accueillit kazuo avec un sourire rassurant. tout en flagellant mentalement. il aurait dû filtrer les inscriptions au club, tiens. après, les fans, c'était des petits monstres difficiles à gérer. il fallait faire attention à ne pas les blesser dans leurs sentiments, sinon ils partaient en croisade sur les réseaux sociaux et c'était fini. alors clyde se comportait en bon prince avec eux.  

et voilà que le gamin démoniaque lui demande, des étoiles pleins les yeux, si lui aussi pourra devenir acteur. il ne sait pas. est-ce qu'il doit être honnête ? parce que s'il doit être honnête, il devra répondre qu'il s'en balance. mais, voilà. c'est un fan. donc il s'arme de son plus beau sourire et de ses plus belles pensées pédagogues.

* je pense que tu as beaucoup de potentiel.

bien sûr, qu'il lui donne son compliment, comme ça, sans que kazuo ne le mérite vraiment. il lui donnera un autre million de compliments s'il en a envie, mais pour l'instant il a vraiment envie de sortir de cours et d'aller se chercher un café. il relève les yeux vers l'élève et lui sourit gentiment. il n'a pas d'avis vraiment distinct sur kazuo et ses aptitudes en classe. à vrai dire, les aptitudes de sani, qui n'est même pas dans son club mais bien dans son groupe d'étude, l'ont plus marqué.

mais ça ne veut pas dire que kazuo est un mauvais acteur, non. il est juste, un peu trop dans l'excès. putain, il aurait dû s'en douter que c'était un fan. il cherchait tant à se faire remarquer, si ce n'était pas parce qu'il avait un sérieux problème d'ego, c'était forcément parce que c'était un fan. ah, sérieusement.

* c'est bien, d'être aussi déterminé et motivé.

mouais, il suppose.