« Rodrigue, as-tu du coeur ? » • Pablo [TW]

pablo avait l'audace ingrate des petits princes, couronné de rires têtus qui électrifiaient l'air du réfectoire pour se perdre dans la polyphonie dissonante qui occupait tout l'espace. elle avait toujours ce petit sourire en demi-lune qui dévoilait les canines, amusée de la tumulte bacchanale et des bribes de conversation qu'il parvenait à saisir : des petites rumeurs mielleuses dont elle avait nourri toute la fourmilière, des vilains ragots tissés du bout de sa langue dans l'intimité des couloirs.
oh, pablo se moquait bien des secrets ! il les cueillerait comme des fleurs fanées, pour les ranger sagement dans un coin de son cerveau et les disséminer sous des aubes propices.

du coin de l'oeil elle remarque ismael qui fend la foule :
ce qu'elle avait aimé d'une grande passion chez lui c'était ces belles histoires toutes romanesques, celles d'un icare au coeur bétonné et aux sourire mythiques qui n'avait su échapper au labyrinthe. il avait déjà tracé tant d'odyssées dans le ciment des murs que pablo n'avait eu qu'à jouer les circé pour son ulysse ; et délier sa langue serpentine en sortilèges cruels pour attirer son attention.
elle ne pensait pas cependant que la tragédie se jouerait ainsi : au milieu du self sous les pupilles avides. sous les mots impatiens pablo lève d'abord les yeux au ciel pour ourler ses cils d'agacement, les lippes fendues d'un sourire impétueux elle se retourne seulement quand elle sent les doigts froids accrocher son épaule.

hein ?

c'est une audace qui s'évanouit bien vite, quand sa joue se retrouve salie d'écarlate. pablo avait à peine senti la gifle qui avait effleuré sa peau marmoréenne, mais c'était le blasphème qui la prenait à la gorge.
voilà donc ismael en six lettres (VI. L'Amourevx) : un roi solaire qui noyait le silence de ses tirades enfiévrées, qui avait fait taire les cacophonies quotidiennes de ses éclats astraux.
un bien charmant désastre.

putain ismael... on peut faire ça autre part, s'il te plait ?

pablo avait les doigts portés à sa joue de peur qu'elle ne se teinte de rose, et il avait refermé son autre main sur le poignet d'ismael, pour l'entrainer dans sa fuite, hors du réfectoire. elle jubilait un peu car, en vérité, elle avait l'amour du drame.
il s'arrête dans un couloir, où leurs émois pourraient se dérouler sagement à l'ombre des murs, sans regards avides à en brûler leurs chairs. elle lâche le bras d'ismael parce qu'il le savait trop fier pour fuir, et qu'iels étaient pris.e.s au piège dans ce jardin des hespérides.
elle desserre enfin ses dents et voilà son venin :

t'étais obligé de me GIFLER devant TOUT LE MONDE ? on est pas dans un film là, sérieux

(tw, incitation au suicide)

pablo ne détournerait pas le regard. il avait la rage des audacieux qui lui brûlait les joues, les cils dégoulinant d'un mépris incarnat alors qu'elle le savait bien, elle n'avait rien d'une sainte. c'était peut-être par ennui qu'il jouait les antigone bafouée : elle ferait bien rouler de ses iris quelques larmes de résine, mais il n'y avait personne pour les voir.
il ne voudrait pas gâcher ses émois face à un spectateur au coeur de pierre. elle n'offre rien d'autre qu'un soupir agacé, dénué de tout sanglot.

j'sais pas ça aurait eu l'intérêt d'être mature

oh, en vérité, pablo trouvait cela enivrant ! le voilà pris dans un drame qui lui coupait le souffle, et faisait briller ses yeux bruns de perséïdes. elle aurait tout donné à la tragédie tant qu'ismael lui donnait la réplique, sagement elle ferait s'écailler la porcelaine pour en déceler les funestes sillons, ceux qui suintaient d'une misère toute romantique.
les lèvres pivoine de pablo fleurissent d'un sourire un peu cruel :

si t'as autre chose à faire bah va faire autre chose au lieu de venir me frapper non ?

il n'avait pas peur des morsures des chiens enragés, s'il le fallait elle montrerait ses petites canines opalines pour répondre en grognements. pablo n'aimait pas ces regards au jugement divin, car ismael aussi était sans auréole, dans l'absurdité de leurs existences.

si tu t'en fous tant que ça pourquoi tu viens me chercher des histoires hein ismael ? tu t'ennuies ? y'a pas une fenêtre ouverte pour toi quelque part ?

oh ismael si tu savais comme elle regrette, mais c'est bien trop tard : elle dégueule des nuées immondes et n'est plus capable de sceller ses lippes vipérines. il a déjà les mains qui tremblent de colère et de honte mais sa langue acérée vient donner le coup de couteau final.

là, ça ferait des trucs à raconter dans le journal.

enfin elle se tait et serre les poings, pour sentir ses ongles vernis de noir lacérer ses paumes froides comme le marbre.

dans leurs insultes qui raclaient les murs il y avait l'effroi de ces dynasties qui s'effondre, des régicides mythologiques qui seraient gravés dans la pierre pour que personne n'en oublie les infamies : iels étaient deux beaux rois sans couronnes, foulant de leurs pieds des royaumes déjà effondrés.
quand ismael saisit son col pablo ne se débat même pas, elle sent sa poigne de fer près de sa gorge et soudain la voilà incapable de respirer. ses doigts frêles saisissent le poignet de celui qui le retient prisonnier, mais c'est déjà trop tard. elle n'ose plus battre des cils, tant les iris d'ismael sont plein de cette rage organique qui lui crève les entrailles.
il respire doucement, ses poumons sont pleins de plomb.

non.

c'est un mensonge qui glisse entre ses dents comme un murmure, elle a peur que la vérité transparaisse à la lumière électrique des néons alors il crie plus fort :

NON, lâche-moi !!

elle repousse violemment le bras qui desserre son étreinte misérable. les voilà vraiment, les vestiges de la tragédie -- pablo a la tête qui tourne un peu, gorgée de vertiges mauves. sa voix se teinte d'amertume car c'est tout ce qui lui restait face à ce colosse qui avait déjà vu venir les aurores.

et si tout ce que tu sais faire c'est mettre des claques ou prendre au col alors j'ai certainement pas peur de toi.

il tremble pourtant, et croise ses bras en une étreinte à lui-même pour réprimer les grands frissons qui l'agitent. mais elle refusait toujours de tendre la nuque pour l'offrir à son épée, et même en reine détrônée il ne laisserait voir ses faiblesses qu'à l'ombre de la nuit. elle prend en plein coeur les injures et garde sa bouche close un instant.
il ne savait que répondre à l'essaim parme de son dégoût, mais elle voulait le dernier mot, même s'il n'était craché que dans un soupir élégiaque.

toi aussi tu devrais te remettre en question.

la rage coulait de ses yeux et embrasait ses muscles de tremblements furieux qu'elle n'arrivait pas à contenir, oh, si seulement il pouvait diriger toute sa colère jupitérienne sur ismael, le noyer de son ire jusqu'à n'en plus pouvoir ! mais voilà que c'est elle qui étouffait, entre ces murs fades qu'il avait voulu prendre pour abri pablo ne pouvait plus respirer car la haine prenait trop de place dans sa cage thoracique.
iels avaient voulu se battre pour toutes les couronnes et les voilà, pitoyables monarques du caniveau à l'or taché de boue, frémissant encore de ce duel sans merci. pablo refusait de laisser la honte lui rougir les joues.

je m'attendais à ce que les gens aient plus de retenue,

ses oeillades ont l'indécence des simagrées ; elle ose se fendre d'un sourire aiguisé comme un couteau.

et se rendent compte que ça sert à rien de me menacer.

ça l'amusait bien de jouer les martyrs au coeur plein de chasteté alors qu'il était le bourreau qui avait jeté la première pierre. les cils alourdis de maniérisme elle avait la couleur du vice, une salissure qui se voyait sur sa peau à force de se battre contre la vacuité des matins mornes.
il n'a pas le temps de reculer quand le pouce d'ismael vient tiédir son visage mutin, elle se fige sous la tendresse du geste qui réchauffe la faïence de sa joue. sa langue est fourchue toujours entre ses incisives, mais le coeur n'y est plus :

ah ! t'es bête. tu crois vraiment que c'est comme ça que ça marche ?

pour se battre contre cette douceur teintée de miséricorde pablo n'a plus que ses piètres mensonges, tout de blanc vêtus ils dégueulent de ses lèvres entamées de rose comme une bouillie insipide.

j'fais ça parce que... hmm... c'est important que tout le monde puisse bien connaitre ses camarades, tu penses pas ?

elle s'écarte maladroitement de sa paume pour retrouver une froideur feutrée et familière, pleine de ses vanités précieuses qu'il n'abandonnera pas à la galanterie.