quintessence de l'échec / Pablo

En ces jours-là de fin de saison le soleil brillait encore jaunement le matin et faisait chauffer maigrement les salles de classe : mais Yishai même tout à côté des fenêtres ne sentait pas trop la chaleur radieuse. Il faisait cliquer le capuchon de son stylo comme le clapotis d'une cascade agaçante et il dévisageait un point mathématique de l'espace où il concentrait la noirceur de son regard, qui veut savoir comment crever ce silence plus mortifère que la mort.

A la fin du cours matinal, il a fait racler son tabouret en se levant et il a résisté à l'envie de jeter un regard par-dessus son épaule car il redoutait trop de voir la clarté du jour se dessiner là où Cole devait se trouver. Il serrait la bandoulière de son sac sur son épaule et il marchait très machinalement. Depuis le moment où il avait ouvert les yeux, il n'avait pas dit un seul mot, car il sentait qu'aucun n'aurait été dit sans crier.

Donc il traînait les pieds dans le couloir et il était furieux contre le soleil qu'il était contraint de trouver beau en un jour qui restait noir pour lui, puisque ! être furieux était bien la dernière chose qu'il connaisse depuis. Et lorsque Pablo est passé devant lui, bien comme les voitures passent nonchalamment devant les cadavres des lièvres, il a eu cette verve-là au bout du bras, gris foncé et lourde comme un orage infantile, pour crier d'abord (Velásquez !) puis pour la saisir et le tirer vers lui.

Indéniablement, Yishai n'est pas très fort mais il est plus fort qu'elle, et il a même pour lui la force bête qu'ont les adolescents qui brûlent sans ménagement. Il le tire à un angle désert d'un étage anonyme et il sent bien que ses doigts laisseront des traces sur ses poignets blancs ; il n'est pas trop fier de deviner là les marques qu'il y laissera mais il n'est franchement pas désolé non plus.

Il ne sait pas trop pourquoi, mais il le lâche pour la jette contre un mur où le soleil vient encore lui éclaircir le visage, et ça lui permet de voir clair. Il se sent infiniment souillé devant la pâleur de ses mensonges rayonnants. Yishai reste un moment à regarder sa face inondée par un matin indifférent, et ses lèvres se pincent pendant qu'il cherche les mots qu'il s'attend à prononcer.

J'espère que t'es fier, il finit par dire sans trop aboyer. tu dois bien dormir sur tes deux oreilles, tout le monde s'en fout. Sa voix s'étrangle un peu, à moitié à l'épreuve de son adolescence inaboutie et à moitié car il a encore trop peur de dire son nom. Il prend une grande respiration pour se donner contenance, Je me souviens très bien moi de ce que tu lui disais sur son passage, il était- il est, trop gentil mais je sais - merde, je sais très bien que tu te foutais de lui.

Il marque un court silence pour rappeler entre eux l'éclat des rires envenimés de Pablo qui éclosaient sur le dos de Cole, et auxquels Yishai parfois s'était bêtement accroché, tantôt d'une voix haussée au hasard, tantôt d'un regard de roc à sens unique. Il le marque pour lui-même, car ces choses-là se tournent et retournent dans son sommeil et qu'en fait il n'a rien à dire, à Pablo, rien qui vaille la peine d'être jeté sur la boue empourprée de son corps malingre, juste des miettes à lui crier dans le vide. Ses mains tremblent sur ses flancs et sa voix aussi dans sa bouche ardente.

J'espère que ça va te bouffer de l'intérieur. T'as intérêt à arrêter et la fermer maintenant.