les enfants païens + fleur

Elle maquille ses lèvres d’un sourire teinté de rouge. Elle se maquille, Fleur, ne laisse se refléter ses faiblesses – elle aimerait que cela se passe ainsi. Elle aimerait être forte, posséder cette allure-là, talons claquants dans les couloirs de sa nouvelle demeure. Elle ne possède pas de couronne, Fleur. Elle l’a sûrement égarée, cherche encore à se rattraper. Mais à quoi ? Et c’est dans ses propres doutes qu’elle se laisse enrôler : dure première journée. Elle se demande encore ce qui les a laissé être eux, l’avenir d’un je-ne-sais-quoi qui devrait être leur futur. Elle n’y comprend rien à tout cela, Fleur. Le devrait-elle ? Elle feint l’ignorance, y glisse un regard désintéressé.

Et voilà, elle se retrouve ici, coincée entre table et chaise, à devoir corriger les idioties de ses élèves. Elle avait sans doute oublié ce qu’elle avait pu écrire à son âge : sans doute des mots d’amour, un semblant de prose. Elle en vomirait. Cependant, la voilà sauvée. Apparaît à sa porte ce qu’elle aurait nommé chevalier : Darwin en armure accompagné de mots tranchants. Si elle se l’était permise, elle l’aurait aimé. Fleur n’aimait plus, trop dangereux, compliqué, trop interdit. Mais Fleur se serait permis d’aimer bien trop d’hommes et elle ne savait vraiment à qui devait appartenir son cœur. Elle lui laissa toutefois la faiblesse de courir une dernière fois devant la carrure de l’homme franchissant sa porte. Stylo en main, elle s’arrêta :

« Ai-je envie d’être seule quand vous êtes là monsieur Garcia ? »

Le revoilà coincé sur son visage, ce sourire aux mille malices. Elle est douée pour cela, Fleur : briser ses propres censures de ses propres mains, laisser son cœur tourner autour de sa cible et ne rien espérer de plus. Et les attentions de ce monsieur Garcia toute tournée vers elle lui plaise. Elle n’ose laisser tomber les masques et s’y prête encore à ce jeu s’installa là.

« Je suppose que vous venez vous battre avec la belle candeur de vos élèves. »

Il y avait sans doute mieux, comme rendez-vous galant, elle pensait. Mais l’aurait-il emmené autre part ? Ne pas y penser, non. Elle se laissa aller, mèche reposée derrière une oreille - comment appelaient-ils cela ? On aurait certes pu déchiffrer son comportement, mais rien d’autre n’aurait pu lui faire peur : qu’il le fasse, qu’il s’en lasse. Elle savait que cela finirait par arriver. Et elle laisse alors son regard se poser à nouveau sur les lignes écrites par des mains encore inconnues.

« Venez donc, si vous vous en sentez capable. »

Il trouverait bien chaise pour la rejoindre, après tout, il était débrouillard. Et jamais elle n’aurait abattue toutes ses cartes, même une fois partie déjà perdue. Elle mettait sans doute sa fierté dans l’affaire, Fleur. Elle n’avait pourtant plus rien à perdre dans ce domaine : la façade tomberait sans doute, rumeurs se propageant si vite. Elle s’y attachait tout de même. Fleur tentant encore de poudrer ce qui aurait pu être masqué, arrangé. Elle se demandait seulement si son maquillage n’avait pas coulé, si tout était arrangé, bien fixé. S’il verrait la différence, Darwin, une fois son regard posé sur elle.
Elle aurait aimé faire bonne impression, bonne figure.
Comment se rappelait-il d’elle lorsqu’elle n’était plus dans son champ de vision ?

Bien sûr que cela ne lui faisait pas peur : cela ne l’aurait sans doute pas intéressé autrement. Où était-ce parce qu’elle était si rapide à abandonner le courage pris avec délicatesse ? Peu importe, elle l’écoutait : accroché aux sonorités franchissant sa bouche, violence prenait forme avec douceur aussi étrange que cela sonnait à ses oreilles.

« Tu n’as qu’à donner ton avis sur ma notation et sur bien plus. »

Elle lui glissa doucement les copies de ses élèves prenant forme de feuille autrefois blanche, remplie de fiction : art plastique, ils appelaient cela. Et Fleur s’y voyait : si fausse, désirant être belle. Tout cela était subjectif. Tout cela ne l’aurait touché comme cela l’aurait touché elle : visions s’entrechoquant, s’entremêlant. Mais la différence lui plaisait, charmait ses sens. Elle pose son regard sur lui, Fleur : elle attend sa réponse, tente d’y déchiffrer un écho. Elle n’ose sans doute pas lui décrire sa propre classe ni ajouter quoi que ce soit.

« Tu n’as jamais été jeune toi ? »

Elle glisse son visage entre ses doigts. Elle l’imagine bien, lui, faire frémir les tuteurs des astrales et cela l’amuse. Sans doute, se serait-il détesté. Mais le voilà devenu un charmant jeune homme, sans doute était-ce ce qui aurait compté à ses yeux.

« Mais non, c’est ma première fois. Avant, j’étais aussi candide qu’eux, je suppose. Les choses ne finissent jamais par être noté comme on le souhaiterait. »

Fleur se rappelle encore de ses passions brûlant son cœur, des gestes appris et effectués encore, encore. Elle les connaît encore, les enseignes et se déchire à chaque fois ses espoirs. Elle aimerait posséder quelque chose, Fleur. Mais à chaque fois, on lui enlève, lui arrache ses amours. Elle n’y croit plus. Elle se laisse y croire. Ses sentiments s’altèrent, changent à chaque fois. Elle ne lui en dit mot, pourtant. Sans doute lui chuchoterait-elle une autre fois. Si seulement elle se le permettait.

« Et vous monsieur ? Je suppose qu’on vous donnait de belles notes. »

Elle suppose qu’il n’est pas venu là pour les aimer, mais sans doute y est-il attaché. Cela se finit toujours ainsi. Elle n’ose vraiment le taquiner plus, Fleur, de peur de le faire fuir ce monsieur Garcia qu’elle aime tant. Non, elle se contente de lui arborer ce sourire-là qu’elle garde précieusement pour ce genre d’instant.

Elle ordonne les documents autrefois places là, fraction de secondes perdues au maître du temps. Elle aime sans doute les ornements, Fleur, elle s’en pare à chaque bataille. L’avis n’est sans doute partagé par le maître de guerre ici présent. Mort au romantisme, disent-ils, et la voilà, elle, toujours à espérer son retour triomphant.

« Je suppose qu’on ne vous aurait pas bien noté cette fois-là… »

Fleur laisse passer un rire d’entre ses lèvres. Sans doute, aimerait-elle le rendre plus mélodieux, mais, elle n’en possède les moyens. Alors elle enrobe la chose :

« … Darwin. »

Elle préfère sans doute utiliser ce monsieur-là placé avant autre mot : cela rend la chose si officieuse et elle aime cela. Elle choisit ses mots avec soin comme elle choisirait toilettes à porter. Même les astrales ne sauraient lui enlever ce plaisir-là, privilège qu’elle admet. Elle y réfléchit encore, au passé de l’homme réfléchi au fond de ses prunelles. Que pourrait-elle en deviner ? Il a sans doute les paroles d’un homme désabusé : il est de ceux ne lui offrant aucun avenir. Elle n’est attirée que pour cela, comme si le danger pourrait être le meilleur amant, comme si l’impossible pourrait la satisfaire. Sans doute, aime-t-elle les déceptions, le sentiment s’installant dans sa poitrine lorsqu’on en retire son cœur à mains nues. Mais elle ne donne son âge, Fleur. Elle ne lui dissimulerait pas plus s’il en arrivait à la véritable conclusion.

« Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce métier, Darwin ? »

Elle insiste sur le mot, comme si elle y cherchait là de quoi le faire sien. L’espoir en vain, assassiné. Elle tente de le faire revenir d’entre les morts. Ce n’est sans doute pas de la politesse, juste cette façon-là d’obtenir une beauté certaine, celle du langage, celle de l’attitude-là ou le reste est écorché vif.

Elle espère toutefois obtenir des informations, Fleur. Elle espère toutefois se rapprocher de l’homme, le raccrocher à elle. Elle aimerait le laisser graviter éternellement avant qu’il n’ose se rendre compte des erreurs, qu’il se laisse charmer par lumière plus belle. Elle sait que cela arrivera, que ce soit pour elle ou quelques passions éternelles. Elle ne lui en voudra pas, comment pourrait-elle ? Mais ils sont coincés là, chiffres perdus au bout des doigts, encre déterminée à noter l’avenir qu’ils n’ont pas eu ou tente de posséder encore.

Elle sourit à l’honnêteté. Mais quoi ? Il y a là-dedans l’invitation dangereuse de se laisser aller. Les artifices brillent aux oreilles de Fleur, encadrent son visage comme diamant et or. Mais quoi ? Le charme y reste quelques instants et elle n’ose vraiment y ajouter quoi que ce soit. Le regard vogue et déjà elle découvre encore les contours de la silhouette de l’homme. L’interrogation se tait dans sa bouche. Elle en frissonne.

« On pourrait enlever l’état, le haut grade et le policier à mon histoire, je suppose. »

Elle ne peut pas vraiment lui dire qu’elle cherche encore à s’aimer elle, à ce qu’on l’aime elle lorsque l’amour n’arrive à se glisser à sa porte, à rester au creux de sa poitrine. Dans l’hésitation, elle réussit à mettre en forme sa vérité.

« Je suis en pleine reconvention, dira-t-on. On dit que je suis bonne pour retomber sur mes talons. »

Elle y glisse un sourire pour valider les faits. Le tout est masqué. Le tout ne se dévoilerait que si on le lui demandait comme si les détails ne sauraient apparaître pour personne s’approchant davantage. Elle aime y mettre les formes, là où, elle le sait, son monsieur Garcia ne semble les apprécier. Alors, elle revient à lui.

« Mais passer de la police à… ici ? C’est inattendu. »

Parce qu’elle ne sait rien de tout cela, Fleur. Elle apprendra. Elle connaîtra à nouveau l’amertume, doux baisé d’ignorance n’ayant encore disparu de sur ses lèvres. Les anges l’ont laissé bénis, pour combien de temps ?

Elle repense encore à ses mots. C’est sans doute mal tourné, pas assez doux pour exprimer la curiosité simple éclosant lorsqu’elle laisse entendre sa voix.

« Mais qui suis-je pour parler. »

Puisqu’à présent, elle aussi se voit franchir les couloirs, passer de salles en salles sans que cela ne ressemble à aucun ballet. Elle n’a plus aucun tutu, Fleur. Elle ne danse plus sinon qu’avec ses émotions si mal cachées à présent.

Un brin douloureux, lèvres mordues comme la fierté dont elle s’éprend. Oui, elle l’est. Il y a là la simple différence entre leurs passions, leurs visions d’adultes pourtant si floues. Les voilà convaincus de leurs propres mérites alors, elle hésite. Elle se demande encore quelle est l’unique sensation prenant son cœur, amer déshonneur léchant ses joues porcelaines. Ne pourrait-on pas aimer ces illusions-là qui la retiennent ?

« Non, seulement avec ceux que j’aimerais ensorceler. »

Air grave affiché, figé dans les méandres de ses prunelles. Non, elle n’agissait ainsi que pour sa propre personne, pour y chercher là l’amour qu’on ne lui rend guère. Mais quoi ? Le voici avoué et elle s’enfuirait au premier rejet. Et il est encore là, cet œil perçant son propre cœur et elle n’arriverait à s’en défaire. Pourrait-elle se contenter d’un autre si vide ? Il n’y a rien qui ne l’attirerait rien, le laisserait prisonnier à tout jamais. Le doute existant à chaque refrain la fait trembler. La chanson reprend, sans fin.

Elle laisse le temps filer. Elle ne sait vraiment ce qu’elle pourrait éclaircir à présent : le mystère n’est là que pour les braves aventuriers, pour ceux qui se laisse prendre par la brume, s’en sortant à la lumière de l’étoile du Nord, laissée là pour quiconque saurait voguer en pleine mer.

« Il y a encore ceux qui ne s’y laisse pas prendre. »

Et en général, elle les fuit, ne cherche pas à comprendre ce qui n’a pas su marcher. Fleur ne laisserait jamais tomber ce bouclier, la rose sait se défendre et n’aimerait encore se voir arracher ainsi. Il y en a ici, de ceux qui ont tenté, paroles froides, grossières… Elle les évite à présent, n’ose porter regards sur telles personnes. Elle est là pourtant, entre notes et Darwin. Elle n’en espérait plus rien, de peur de perdre trop.

« Je vois que vous avez fait la connaissance d’Angel. »

La chose la fait sourire, bien plus que d’ordinaire. Oui, la simple vision de l’homme se débâtant avec son élève lui suffisait. Mais elle pouvait l’imaginer facilement.

« La violence ne sert à rien, le confronter ne sers à rien, il faut simplement le priver de ce qu’il réclame. »

Elle s’y était entraînée, mais l’ajouter n’aurait servi à rien. De ce qu’elle avait remarqué, de ce qu’elle avait vu, elle l’imagine très bien prendre les routes qui n’auraient pu qu’offenser Angel ou encore lui apporter ce qu’il recherchait. Il n’y avait rien de plus facile que d’y voir clair dans le jeu de l’adolescent encore enfant. Elle le comprenait si bien, Angel pas parce que c’était son élève, pas parce qu’il était encore immature, mais dans ce qu’ils pouvaient avoir en commun.

« Les regards, les intentions… Il faut l’ignorer, croyez-moi, c’est la manière que j’ai trouvé pour le rendre inoffensif. »

C’est sans doute cette même manière qui l’aurait tué, qui aurait fini d’achever son âme, briser son cœur. Elle n’ajoute la chose. Elle était facile à deviner et mettre encore à nu ses pensées, sa peau dévoilée, ne lui aurait rien apporté. Alors, elle le regarde, sourire en coin. Elle sait déjà qu’il n’aurait été capable de tout cela, pas avec Angel, provocateur, presque cruel. Comment passer outre ? Mais elle ne lui dit toujours pas.

« Je sais le tenir, pas besoin de charme. »

Pas besoin de cela, elle qui tente de gagner sa confiance d’une autre manière, elle qui tente encore de le protéger du mieux qu’elle le peut. Cette méthode-là, aurait-elle marché avec Darwin au feu prenant son poitrail ? Elle avait tenté une autre méthode et elle n’osait la délaisser, Fleur. Cependant, elle ne savait comment continuer sur ce chemin bien trop dangereux : mieux aurait-il fallu tout arrêter. Pourtant, ils étaient encore face à face, yeux dans les yeux. Pour combien de temps ?