shades of cool // nuni

putain

* de merde.

ça, c'est Bic en train de passer une journée normale au domaine. il a insulté quelques collègues, quelques élèves aussi, rien de bien méchant ou d'anormal. la routine.

la routine ça le tue et ça le réconforte. c'est cette voix raisonnable et posée qui lui a rappelé des heures entières qu'il faut passer à autre chose, que tout le "mal" est fini et qu'il a maintenant le droit de se reposer. c'est un vrai poison. c'est ce putain de tableau de tournesols en face de lui pendant des mois entiers et ces gens gênés qui se sentent obligés d'en parler pour ne pas parler de lui. les médicaments le matin. le même trajet, tous les matins. le même bureau avec ces stylos qui n'écrivent qu'une fois sur deux et ces collègues qui font les mêmes blagues. cette routine, ça le pourrit de l'intérieur, ça ne fait réprimer tout ce qu'il y a de pire.

une journée normale, c'est ça, pour lui, en ce moment. autant dire que la première occasion de se défouler ne lui échappera pas. est-ce que c'est pour ça qu'il se balade dans le bâtiment vermeil, sachant qu'une occasion en or enseigne dans une de ces salles ? mais pour l'instant, c'est juste un couloir vide. des portes fermées, des salles vides.

la routine.

nuni... nuni c'est tout sauf la routine. c'est facile de se retrouver dans ce pensionnat à la con, de grogner sur les élèves et de répéter les mêmes actions en boucle. c'est facile quand on ne doit pas surveiller nuni, qui oublie ses médicaments, qui veut soudainement dessiner, qui demande comment vont ses putain de rongeurs. je peux voir mon frère ? c'est quoi ces cicatrices sur votre main ? pourquoi vous marchez bizarrement des fois ? il gueule, bien sûr, il râle, mais il adore ça.

c'est ce qu'il se répète en boucle, dans sa tête, alors qu'il ouvre la porte d'une des salles du club, attiré par un gazouillement familier et qui lui réchauffe le cœur. il ferme les yeux, une seconde, tente de se convaincre qu'il adore ça, vraiment, mais sa première réaction, c'est de se mettre en colère.

* Hargrove ! NUNI ! putain mais qu'est-ce que vous avez encore foutu... ?! comment je vais faire pour pas les frapper...

il a envie de les défoncer, mais il a peur de les effrayer. il a envie de les éclater contre un mur, une seule seconde, mais cette pensée l'inquiète. il ne veut pas faire pleurer nuni. il a promis à sa mère que tout irait bien, que c'est un excellente éducateur, non, vraiment, regardez, il sera toujours surveillé par un adulte compétent et plein de compassion et... et certainement pas quelqu'un qui pense à le jeter par la fenêtre dès qu'il fait une connerie.

le surveillant se tient toujours sur le pas de la porte grande ouverte, les poings serrés si forts que ses phalanges blanchissent. il sent la poignée et ses imperfections qui s'impriment sur la paume de sa main. son cerveau carbure désespérément, cherchant une autre solution car il n'a vraiment pas envie de leur faire ça, à ces pauvres gosses. qu'est-ce qu'il s'est passé, en vrai ? ils ont du en renverser et au lieu de paniquer, ça les a fait marrer. sauf que c'est lui, le connard qu'on vient sonner quand il faut régler ce genre de problème, il imagine déjà les profs s'attendre à ce qu'il nettoie ça lui même car il n'est pas capable de tenir le gamin qu'il surveille.

silencieux car incapable de dire quoi que ce soit de bienveillant. immobile car incapable de faire un quelconque geste qu'il ne regretterai pas des années.

pourquoi est-ce que le sort s'acharne à ce point sur lui ?

heureusement que les enfants sont des créatures tout à fait adorables, pas vrai ? heureusement que les enfants sont merveilleux. heureusement qu'une sorte d'instinct, peut être des restes d'évolution, nous forcent à considérer les plus jeunes avec une bienveillance que l'on ne contrôle même pas. nous force à ne pas leur en vouloir, à y aller un peu plus gentiment qu'avec d'autres vieux briscards...

heureusement que bic voit nuni et ses grands yeux s'emplir de larmes,
prêts à déborder.

bien sûr, cette vue le fige sur place et le malaise qui lui tord et retourne le fond des tripes ne fait que s'accentuer avec la mine déconfite de mademoiselle hargrove juste à côté. oui, ce sont juste des enfants. des enfants qui jouent, et font des conneries, comme n'importe quels enfants partout dans le monde. pourtant ça ne calme pas tout à faire la colère qui gronde sous la surface.

mais à force de se répéter que ce n'est pas totalement leur faute...
ce n'est peut être pas si désespéré que ça ? bien sûr, ne peut pas rester comme ça, mais ils ont l'air d'être motivés pour nettoyer correctement ? sûrement plus efficacement qu'un adulte qui arrive à peine à se calmer devant des bêtises de jeunes, en tout cas. toujours aussi tendu, il arrive quand même à laisser s'échapper un soupir.

est-ce qu'il peut vraiment vouloir du mal à quelqu'un qui gazouille de cette manière ?

* ... bon. ... je vous fait confiance, ok ? je vais faire comme si j'avais rien vu, prendre l'air dans le couloir... et tabasser Clyde Tanoshi si je le croise au détour d'un couloir pour me défouler. je repasserai plus tard pour vérifier que c'est propre, d'accord ? putain...

il n'arrive même pas à forcer un sourire, il ne peut qu'empêcher ses sourcils de trop se froncer pour tenter de montrer qu'il ne leur en veut pas tant que ça. il n'avait pas prévu de passer sa soirée dans le bâtiment, probablement à repasser derrière eux car qui sait si ils ont capables de nettoyer correctement ?

il lâche la poignée, imprimée à l'identique sur sa paume, la douleur bien présente mais bienvenue si elle permet d'oublier la colère qui le possède quelques secondes de plus. un pas, puis deux,
il franchit la porte.

bon courage, les enfants terribles.