Plastique ; Lizza

Les yeux tombants dans le vide, le silence qui règne dans ces salles de classe imprégnées de lumière naturelle - les ombres se dessinent d’elles mêmes et Lizza commence peu à peu à faire partie du décor. C’est simple à vrai dire, elle se sent chez elle. Et en vient presque à oublier hier, perdue dans le temps qui n’a plus d’emprise sur elle lorsqu’elle s'égare.
Le bruit de son crayon sur le papier résonne au point qu’elle ne l’entend plus ; il en faut pour la sortir de son état de transe, en rêverie perpétuelle, Lizza n’a pas besoin d’être seule pour s’isoler. Il y a cependant des présences qu’elle ne peut ignorer - des sons familier comme cette porte qui s’ouvre, délicate et assurée ; c’est la démarche d’une professeur qu’elle connaît bien.

Il faut au moins ça pour détourner son regard du papier ; madame Rodde, une fleur inhabituelle au parfum familier. Lizza lui adresse un regard furtif, léger sourire en coin avant de faire mine de repartir dans ses songes habituels, crayon en main. Peut être n’a t-elle rien remarqué à cette distance mais Lizza se sent sereine, soulagée que personne d’autre qu’elle ne soit entré. Il n’y a pas de mots pour exprimer ce bien être de l’instant présent alors elle se tait, tête baissée. Un peu prise au dépourvu lorsqu’on vient lui demander ce qu’elle fait ; comme si il devait y avoir un sens derrière ces traits - finalement, ce n’est qu’une question triviale, pourquoi se prendre la tête ?
« la même chose que d’habitude j’imagine. »
Car peu importe ce qu’elle dessine, Lizza se répète juste le même refrain de manière différente. On peut la résumer à ça, sur le ton d’une blague - sans en dire plus pour ne pas se perdre, ne pas gêner. Lizza dans son coin sans pour autant être enfermée ; elle occupe l’espace avec une certaine aisance, ces affaires ont tendance à l'entourer comme dans un cercle.
Et c’est sans remarquer la discrétion avec laquelle sa professeur s’y est introduit qu’elle se retrouve à nouveau prise au dépourvu lorsqu’elle aperçoit celle-ci, pinceau en main.

Impressionnant. c’est bien un mot qui lui inspire madame Rodde ; même si elle aurait mérité plus de nuance, à ses yeux elle restait une figure d’autorité mystique, l’admiration pouvait se lire dans les yeux de Lizza.
C’est en l’observant d’aussi près que lui vint l’inspiration, un vent d’air frais sur sa page - puis le courage de s’exprimer.

« Oh ! j’ai toujours voulu voir ce que vous faites, je n’osais pas demander. »

Son regard entièrement pointé vers elle, la curiosité prête à la dévorer - elle ne cesse cependant pas ses gestes sur sa propre oeuvre, elle qui manque encore d’expérience et de maturité. Elle aimerait pouvoir ressembler à quelqu’un d’autre, éclore, se laisser pousser ; Lizza observe de loin ce qui est en réalité plus près que ce qu’elle croit.

« vous devez avoir une carrière derrière vous, avant d’arriver ici enfin… pardon, c’est indiscret. »

Sa professeur lui livre ses paroles sans trop en dire, Lizza se contente des phrases courtes et des mots justes. Elle aimerait être aussi concise mais peine à s’expliquer, elle se pose tout un tas de question compliquées. Mais lorsqu’on lui parle de réussite, Lizza ne peut s’empêcher de relever les yeux au ciel, apercevant le visage lumineux de madame Rodde ; ses espoirs l’envahissent telle une pression sur le coeur, Lizza encore indécise et loin de se voir dans cet avenir.
Elle ne voit que l’instant, incapable de peindre plus loin que sur son champ de vision restreint. Les mots peinent  à lui venir.

« réussir ? pourtant quand je vous vois je n’ai pas l’impression que vous avez échoué. J’ai connu beaucoup de ces mi-prof mi-artiste raté et vous n’en faites pas partie. »

Du moins c’est ce qu’elle pense Lizza, en toute sincérité et spontanéité ses mots lui échappent sans cesse. S’en rendant compte, ses yeux se baissent - retournant à sa peinture sans un bruit - tout en se demandant ce qu’elle pourrait y ajouter ou changer.

« vous savez, je suis surtout douée en peinture… pour le reste, peut être que vous pourriez m’apprendre ? »

Elle lui rend ses sourires, à croire que la bonne volonté est contagieuse. Au moins aussi ardente que le désir de Lizza d’en savoir plus sur l’art de sa professeur.

« enfin, un cours particulier c’est beaucoup demandé. Je ne suis pas contre une démonstration. »

Les yeux levés au ciel, Lizza ne sait pas ce qu’elle veut - elle se dit que c’est l’âge qui veut ça, et elle lui en veut parfois ; à cette jeunesse maladroite, fidèle à elle même. Lorsqu’elle y pense, elle se dit que l'équilibre n’est pas son point fort, ne sachant jamais sur quel pied danser. Il faut dire qu’elle n’est pas bien loin du cliché de l’artiste de bureau, observant les faits et gestes des autres plutôt que rejoindre la course ; pour faire court, Lizza a toujours eu de mauvaises notes en sport. Surement le côté compétitif qui la freine dans ses élans. Pourtant aujourd’hui, elle se sent presque pousser des ailes.

« hm je ne sais pas, ces derniers temps j’ai envie d’un truc plus physique... »

Elle se lève faisant passer son propos dans ses gestes, elle ne voudrait pas qu’on pense qu’elle s’intéresse à la physique chimie - c’est pour pour les topazes, pas pour elle.

« vous avez peut être un sport à me conseiller ? enfin, je sais que vous n’êtes pas prof de sport mais l’art passe aussi par le corps je crois... »  

Lizza se perd dans ses réflexions avant même de s'interroger sur la pertinence de ses questions. Ses pensées divaguent en dehors de sa toile, laissée sur le côté.