d'heures en heures ✻ darwin

les secondes s'égrainent. cigarette au bec, posé sur l'une des chaises, dans le coin réservé aux observations du club d'astronomie. un bout de toit terrasse, un bel endroit, un bon spot quand on arrive pas à dormir. il doit être deux ou trois heures, hyunbin guette le bâtiment en face, le bâtiment du personnel. pas un bruit, mais pourtant il sait bien qu'ici, c'est dur de fermer l'oeil, dur d'être serein. on ne sait jamais ce qui se trame. d'autant plus lorsqu'on sait ce qui attend les petits pensionnaires, trop épuisés pour veiller. les adultes, dans l'ombre, guettent et s'angoissent de ce qui pourrait leur arriver. il regrette d'avoir accepté de partir, qui sait ce qu'il retrouvera en rentrant, qui sait s'il pourra rentrer. bien sûr, il est là comme les autres, à cause du gouvernement, parce que c'est un bon moyen de faire taire la mafia un petit moment, mais qui sait s'ils décideront de le mettre en taule aussitôt qu'il aura mis un pied loin des murs des astrales.

le rendez vous est fixé, sans avoir à le dire. c'est un peu une routine. il sait qu'en s'installant ici, qu'en se posant sur cette chaise, ce fauteuil, en regardant ce bout de ciel, il y a des chances que darwin débarque. au cas où, il a prévu deux cafés, l'un entre ses doigts, et la deuxième tasse posée bien en sécurité sur l'un des meubles de jardin. ce soir, c'est dégagé, mais le club d'astronomie est parti dormir depuis longtemps désormais, alors l'endroit est sûr. les volutes claires de sa cigarette s'échappent et se font balayer par le vent ; hyun ne sait plus vraiment qui il est.

plus les jours passent, plus les semaines avancent et plus rien n'a de sens. il n'a plus vraiment de base, de point de comparaison. abrahel et lui, c'est une idylle, éphémère ils le savent, mais ça ne les empêche pas de s'accrocher comme jamais. son groupe ? il ne sait pas, il ne sait plus. et quant au reste, c'est une épreuve de chaque jour devoir mentir sur l'endroit d'où il vient, mentir sur ses intentions. il ne sait plus ce qu'il veut, il ne sait plus ce qu'il cherche. il a besoin d'air, besoin de respirer.

le silence est son ami, mais lorsqu'il est balayé par les quelques mots que darwin lance en venant s'installer, hyun ferme les yeux. il sait. il ne peut que comprendre ce que ressent son coeur, lourd à la pensée d'un éventuel échec. il sait que darwin sait, qu'il fait partie de ces professeurs au courant de ce qui se trame ici. et c'est mieux. c'est mieux de parler à cœur ouvert, il n'a pas le courage de mentir aux étudiants dont il croise le regard. declan s'en fiche, de tout ça. daim ne comprendrait sans doute pas, pas tout de suite. et theodora ... hyunbin craint qu'elle comprenne, qu'elle lise à travers lui. il craint beaucoup la jeune femme, parce qu'elle lui rappelle des gens qu'il a laissé la bas, dans l'obscurité des rues étroites de polaris.

* tu vas y arriver, ne sois pas si dur avec toi même, darwin.
il y croit, lorsqu'il l'encourage, il croit jusqu'au bout des ongles. il y croit dur comme fer. il croit en darwin, ils sont amis pas vrai ? c'est étrange, d'ailleurs, de considérer ce quasi parfait étranger comme un ami. cela fait bien longtemps que hyun n'a pas eu d'amis. des collègues, des contacts, des ennemis, ça oui. mais des amis, des personnes de confiance, ça ne court pas les rues. bien sûr, il y a des gens auxquels il tient comme à la prunelle de ses yeux, mais c'est plus sa famille que des amis, même s'ils n'ont pas forcément de liens de sang, c'est ainsi. il rouvre les yeux et les repose sur lui pour l'observer du coin des yeux, avant qu'enfin ses lèvres ne se courbent en un sourire léger, discret, mais présent.

* qu'est-ce qui te met dans cet état ?
ce soir, il n'a pas envie de parler de ses propres étudiants. il aimerait bien lui demander des conseils, pour abrahel, lui qui semble si à cran depuis quelques jours, mais il n'ose pas. et si darwin comprend et prend tout cela bien plus mal qu'il ne l'imagine ? il ne peut pas risquer sa relation avec abrahel ; pire que ça : il ne peut pas risquer abrahel.

il ne sait pas. il ne sait plus. il ne sait pas quels mots sont bons et quels mots sont à éviter avec darwin. c'est étrange, darwin lui donne l'impression d'être à la maison, mais de la pire des façons. il lui donne l'angoisse - cette boule au ventre qui ne le quittait plus dans les dernières semaines - qu'on lui annoncera que quelqu'un ne reviendra pas. ne reviendra plus. darwin ressemble à une bombe à retardement. un pain de c4 soigneusement posé là, par inadvertance, et qui attend juste de se prendre une balle pour exploser. et à bien y réfléchir, ils sont nombreux ceux qui lui font penser à ça. évidemment, bien évidemment y a abrahel, mais bizarrement y a declan aussi. alors oui, quand darwin lui parle d'un étudiant qui vient, fait le travail et s'en va, sans houle, sans heurts, il pense à declan. pensif, il se perd à observer les étoiles, et même au delà, il observe la forêt, il observe les vagues lumières aurigannes qu'il devine à travers la brume et les nuages trop bas. il fait froid ici la nuit, il fait froid entre les murs des bâtiments. il craint l'hiver, pas sûr qu'ils y survivent.

* je sais pas. j'suis pas un très bon pédagogue.
l'entrevue avec les élèves ne fait que lui confirmer ce qu'il pensait déjà ; il n'est pas doué pour s'occuper de jeunes gens. il serait un terrible père, un père qui essaye mais qui n'y arrive jamais vraiment. un père trop présent, probablement poule, de ceux qui s'inquiète de tout sauf de ce qui compte vraiment. l'idée l'angoisse car père, il aurait aimé le devenir. mais sa vie n'a rien à offrir à un enfant, et des enfants il en a vu passer. alors oui, parfois, murmurés tout bas, il écoute les quelques mots qu'abrahel lui souffle, oui ils pourraient s'enfuir tous les deux, oui ils pourraient s'aimer, mais à quoi bon si tout cela ne finit que dans un bain de sang.

* tu veux le faire réagir, le pousser à l'excellence, c'est ça ?
ou alors il veut le briser. c'est sûrement ça. un regard à darwin, il ne comprend pas. il ne le comprend pas.