honey you got a big storm coming ft sani the skeleton

Daim prends un des sachets contenant les graines d'oignons, l'ouvre et observe les petits grains noirs au creux de sa main. il reconnait que oui, ce sont bien des oignons, mais est obligé d'admettre qu'il ne s'y connait vraiment pas assez en jardinage pour les reconnaître de manière plus précise. il a toujours vu le jardinage comme un travail physique où il faut creuser des travées, retourner la terre, arracher des racines enfoncées profondément dans le sol et j'en passe car il faisait surtout ces taches là, à la maison, et ne prenait jamais en compte l'attente et l'attention toute particulière qu'il fallait donner à chaque pousse pour espérer avoir une récolte satisfaisante. en voyant ces toutes petites graines coincées dans les lignes de sa main, il se dit qu'il a hâte de les voir grandir, d'attendre patiemment que leurs premières feuilles percent le sol ameubli. même s'ils échouent, ça lui fera au moins quelque chose pour s'occuper en cours pour plusieurs semaines et un point précis à fixer depuis la fenêtre.

bien sûr qu'il hoche la tête avec satisfaction quand sani dit qu'ils pourraient avoir plus de place pour planter le reste. il ne fait absolument pas partie du club jardinage et ne compte vraiment pas en faire partie, il a déjà assez à faire avec les glandus du club nature qu'il doit supplier tous les soirs de demander des sorties à l'extérieur, mais là, en train de planter soigneusement les graines à genoux dans la terre, il se dit qu'il y retournera forcément dans les jours qui suivent pour assister au succès ou à l'échec de leur tentative et pour planter d'autres graines, si ils obtiennent effectivement plus de place. il pourrait demander l'avancement de leurs pousses à sani lorsqu'il le croise dans les couloirs du dortoir, mais il se sent investi, maintenant qu'il s'est impliqué.

au début, il ne sait pas quoi penser lorsque sani l'interpelle, il tourne la tête, les yeux plissés et prêt à se défendre mais comprend vite qu'il ne remet pas en cause son poids et qu'il utilise juste une marque de familiarité. il rebaisse la tête sur ses graines pour ne pas se sentir trop gêné.

* ... c'est pas très compliqué. ce qu'il faut surtout c'est les couper en très petits morceaux pour avoir le goût sans la sensation de croquer dans un morceau d'oignon. ... je pourrais te montrer ?

bon, daim n'est certainement pas un dieu de la cuisine, mais il se débrouille. quand tu vis avec une grand mère, surtout quand c'est la tienne, tu finis forcément par t'y connaitre un peu en confitures, soupes, ragoûts et autres plats du genre. pas de quoi devenir un chef étoilé mais de quoi être un parfait homme au foyer. de l'autre côté... son oncle se contentait de faire griller des lièvres dans les clairières. il sourit et jette un regard amusé à sani.

* ça m'étonne pas, les hommes préfèrent toujours la viande, je crois ? moi aussi, je t'avoue. qu'est-ce que ça me manque... avec les oignons on pourrait faire du civet de cerf ou de faisan. ... si seulement....

bon, ça y est, c'est officiel, ça vient de sortir : il a faim. en même temps, l'effort physique de la bêche accompagné d'une discussion sur la nourriture... il fallait s'y attendre. mais attendu ou pas, ça empêche pas qu'il a vraiment envie de manger là, sauf qu'il n'y a pas grand chose et ce n'est pas encore l'heure du repas, malheureusement.

* merde, j'ai la dalle maintenant, on f'rait mieux de pas trop parler de bouffe. je m'étendrais bien sur le sujet, mais bon...

le regard tourné vers l'avenir... on pourrait peut être même dire que Sani est beau, en train de regarder un point au loin, mais Daim ne réfléchit pas du tout à ça. il remarque surtout que son nouvel ami regarde la forêt. il se demande s'il n'a pas repéré quelque chose à l'orée des bois alors il ne peut que se retenir de se lever trop rapidement mais ça y est, il est déjà debout en train de plisser les yeux vers l'endroit qu'observe Sani pour essayer de voir un animal ou quelque chose d'autre d'intéressant. les épaules et l'ensemble de son corps tendus comme un chien d'arrêt qui a repéré une proie et veut le signaler à son maître. ... mais il n'y a rien, nan ? ... ses yeux pourtant diagnostiqués à 10 dixièmes ne repèrent rien, pas la moindre trace de mouvement. déçu, il se détend un peu, relâche ses épaules et se rappelle que Sani était probablement en train de lui dire quelque chose.

une histoire de s'incruster dans un club ? oui, forcément, c'est pas bien compliqué. après tout, les responsables sont censés être contents de voir des gens intéressés par leur club, non ? et ce n'est pas comme si ses compères du club nature se disent vraiment que la présence du taré des bois est vraiment indispensable pour fonctionner correctement. ils doivent même allumer des cierges pour s'assurer que le dérangé ne viendra pas les faire chier quand ils essayent d'analyser des données ou faire d'autre choses d'intellos.

bon, autant dire qu'il est partant, mais il ne peut s'empêcher de se marrer car Sani a une façon de le présenter... comme une dure bataille à venir alors que daim compte juste faire comme il vient de le faire aujourd'hui, venir les voir et dire bonjour en souriant. il l'aime bien, ce gars, dans le fond, il rend les choses un peu plus drôles mais sans jamais se moquer de lui directement.

sauf que la question n'est, comme le souligne l'autre, pas à l'infiltration mais surtout à la fuite, visiblement. un peu de pluie pourtant, ça n'a jamais fait de mal, si ?

* j'te cache pas que j'ai quand même la dalle mais... bah, c'est juste un peu de flotte, non ?

il se rappelle d'heures à moitié le ventre à terre dans la boue sous des pluies torrentielles car, quand même, on ne va pas laisser le cerf qu'on a vu comme ça alors qu'il est si beau ? le tonnerre qui gronde le coupe dans ses souvenirs, bon, c'est vrai que même s'il n'y a pas d'arbres à proximité ce n'est pas forcément une très bonne idée de rester dehors pour l'orage.

trop tard, à peine Sani a-t-il finit sa phrase que des petites gouttes commencent de tomber, suivies par de plus en plus de leurs consœurs et très vite Daim sent que son t-shirt commence d'être trempé, sans parler de son jogging. il hausse les épaules en se disant qu'au moins ça aidera peut être à enlever les traces de boues et il récupère la bêche qu'il avait utilisée ainsi que quelques autres outils à côté.

* ok, vaut mieux se tailler. où est-ce qu'on range les outils ? il doit bien y avoir un local quelque part pour éviter qu'ils ne s’abîment trop. j'espère que ça ira pour ce qu'on vient de planter...

le tonnerre, c'est quelque chose, une force qu'on ne peut contrôler, qui force le respect et que l'on doit subir en cherchant simplement à sauver sa peau. ce genre d’événements enchantent Daim, d'une certaine manière. à côté de Sani, il ne peut qu'observer la foudre qui frappe le bâtiment proche, si proche, assez pour leur rappeler qu'ils ne sont rien dans cette tempête que deux hommes face à la nature qui peut les écraser si facilement.

ça le fascine.

il n'écoute même pas vraiment Sani, mais le suit par réflexe, le bras chargés et les mains serrées sur les manches des outils pour ne pas les lâcher malgré la pluie qui s'acharne. il n'entend plus rien que les hurlements du vent et le vacarme de la foudre qui s'abat, ne sent plus rien que la pluie qui transperce ses vêtements et les bourrasques qui veulent lui faire perdre l'équilibre. le reste ne compte plus, tout ce qu'il veut est là, devant lui, le défie presque. tu es si frustré que ça de ne pas pouvoir pleinement profiter de la nature, dis ? quand elle est là, ce n'est pas selon ses termes c'est simplement brutal, sans aucune bienveillance ou attention et en même temps tout ce qu'il espérait et tout ce qui faisait battre son cœur.

ces instants où l'on se sent minuscule en haut d'une très haute montagne et où l'on pourrait en même temps défier le monde entier, la montagne elle même s'il le faut.

laissant son corps réfléchir à la direction à suivre il se concentre juste sur l'odeur de l'herbe mouillée, de la terre retournée et cette odeur d'ozone qui brûle ses narines et le fait frissonner. il ne se rappelle du but de leur détour qu'une fois à l'intérieur de l'abri de jardinage, quelques secondes après s'être rendu compte qu'il ne sent plus la pluie cingler sa peau impitoyablement. il ne reste que des gouttes qui plaquent ses cheveux sur son crâne, les font rebiquer dans n'importe quel sens avant de couler le long de son visage, de son dos, de ses bras. son t-shirt semble impossible à décoller de sa peau trempée mais il ne s'en préoccupe pas. il range soigneusement les outils en essayant de leur trouver une place adaptée en écoutant distraitement l'orage qui continue de gronder à l'extérieur comme pour les prévenir qu'ils ne sont qu'à l'abri temporairement.

le plus vieux ne peut réprimer un sourire, franchement ravi, ne faisant même pas attention au ton employé par son camarade, toujours sous le choc des merveilles de la nature.

* tu l'as entendu comme moi, il ne veut pas s'arrêter, avide comme il est.

il s'ébroue comme il peut pour chasser l'humidité et observe l'abri, plutôt petit, certes, mais assez solide et pas de quoi devenir claustrophobe non plus. il se rappelle les tentes étanches et pourtant trempées dans la forêt, les nuits passées sur le sol humide abrités seulement par les branches des pins. cette pluie, en comparaison, est agréable. chaque goutte réchauffe sa peau, un orage d'été, c'est presque beau, malgré son caractère difficile.

* tripés comme on est, il vaut mieux rester ici un moment le temps qu'la foudre se calme, je pense. la pluie, ça craint pas, mais l'orage...

maintenant que les bruits extérieurs sont étouffés, Daim remarque un peu plus Sani, qui n'a pas l'air aussi réjoui que lui, étonnement. malheureusement, ils ont sûrement un peu de temps à patienter gentiment là dedans, alors ça ne sert pas à grand chose de ronchonner ou de se désoler. pour essayer de distraire son nouvel ami... Daim aimerait bien lui raconter des choses, mais il a peur qu'il ne comprenne pas totalement. c'est assez intime et quelque chose que l'on garde pour soit, d'habitude, mais ils n'ont vraiment rien à faire alors autant patienter en discutant, non ? il se rassure en se disant que c'est simplement une façon de transmettre ce qu'il sait et se jette à l'eau.

* l'orage... c'est plutôt vu comme un mauvais esprit, chez nous. il se cache derrière ce "chez nous" vague qui ne veut rien dire. il y a un esprit de la foudre mais derrière chaque nuage c'est un de ses enfants. ... il y a une histoire pour repérer l'orage avant même de le sentir, c'est quand les poux et les puces s'agitent. on dit que deux fils de l'esprit de la foudre voulaient séduire la même femme et l'un blague en disant qu'il sera une puce pour sauter dans sa poitrine et l'autre répond qu'il sera un pou pour toujours y rester. leur père les surprend et réalise leur souhait pour les punir, et c'est de là que viennent ces bêtes et c'est aussi pour ça que les poux et les puces sautent partout juste avant les orages. ... c'est une histoire, mais ça part d'une vraie observation.

absorbé dans son histoire, il se rappelle qu'il n'est pas seul et jette un regard à Sani, espérant qu'il ne l'a pas trop embêté avec ça, regrettant après coup d'avoir tenu à lui raconter ce genre de choses. il sait bien que la plupart de ses camarades, au lycée, ne croyaient pas à grand chose donc ce ne sera pas différent ici, mais il veut tellement bien faire en essayant de passer le temps et c'est bien le seul genre d'histoire donc il se souvient.

daim parle, plus qu'il ne le fait d'habitude, plus qu'il n'aime le faire, mais il n'y a que lui qui connait ces histoires, alors c'est à lui de parler. il parle et aime que le son de la voix se mêle au grondement du tonnerre qui accompagne ses fils qui amènent la pluie, qui continue de s'abattre inlassablement sur le toit de l'abri. ça aussi, ça berce daim, ça soulève ses mots bien plus haut qu'il ne le pourrait.

tout ses sens lui expliquent s'il se tient bien là, face à Sani, mais chacun de ses ressentis le renvoie aux soirées passées devant le feu à entendre les mots de grand-mère ponctués par les craquements du bois qui se consume. il aime cette idée que la nature fait chanter leurs histoires, qu'elle l'exprime et qu'ils ne sont que là pour la traduire, pour expliquer. presque toutes ses soirées soit un toit et entre des murs solides se sont déroulées ainsi. assurément, on l'a aimé, plus qu'il n'aurait jamais osé demander, on l'a dorloté, protégé, plus qu'il ne croit le mériter.

bien sûr qu'il en connait d'autres, il connaît toutes celles qu'on lui a raconté. il fait tout pour être digne de tout ce qu'on a daigné lui léguer en transmettre, il retient et suit à la lettre les enseignements. dans l'histoire de sa propre vie, c'est peut être le héros qui part découvrir le monde, mais il sait que dans d'autres il n'est que le malheur qui s'abat tragiquement, la personnification d'un désastre auquel personne ne s'attendait et qu'il ne pourra jamais expier quelque soit ses actes. on ne lui a jamais caché la vérité. la vie est ainsi, les histoires ne se finissent pas toutes bien, comme ces deux frères condamnés à sautiller à chaque fois qu'ils entendent l'arrivée de leur père. ... il aime la pluie mais penser aux histoires ramène toujours son enfance sur le tapis. pas les moments dans les bois, les premières fois où on lui apprit à se servir d'un arc, non, pas cette randonnée de plusieurs jours pour admirer les cascades. non, plutôt la souffrance. l'absence. le péché dont il ne pourra jamais se laver. la faute commise impossible à rattraper.

... Daim était si heureux sous la pluie, à braver la foudre et l'orage, mais maintenant il n'est plus très sûr de ce qu'il pense ou de ce qu'il ressent. pourtant, comme le souligne Sani, ils ne peuvent qu'attendre ici, et c'est tout ce qu'il sait faire pour passer le temps.

* y'en a un tas. sur les cygnes, les chevaux...

ses yeux se posent sur les mains de Sani... est-ce qu'elles tremblent ? il n'arrive pas à savoir. il ne connait pas son état normal, il vient de faire sa connaissance. alors il s'enferme dans ce qu'il connait, ces petits contes et histoires pour dormir.

* sur les daims, aussi. on dit qu'ils avaient les jambes des lièvres et aucun chasseur ne pouvait les attraper quand ils courraient sur la neige. mais un lièvre blanc jaloux trompa un daim et échangea ses jambes pour les siennes. en comprenant qu'il s'est fait avoir, le daim, furieux, jette une branche enflammée, noircissant à jamais le bout de ses oreilles, l'empêchant de se cacher des chasseurs dans la neige. avec un défaut pareil, impossible de se cacher. ... je crois que ça veut dire que si tu ne te laisses pas posséder par l'avarice, tu n'auras pas à passer ta vie à courir.

il hausse les épaules, pas entièrement convaincu par cette morale. certains s'en sortent toute leur vie et d'autres, bien que très humbles, tout du moins il essaye de l'être, promis, doivent se cacher de leur propre famille...

* elles se valent pas toutes mais ça comble les moments où l'on est obligés d'attendre. après une proie, par exemple. je crois que c'est surtout un moyen des vieux de transmettre les valeurs qu'ils jugent importantes. sur les voleurs, les menteurs... ... les enfants qu'on n'a pas voulu.

évidemment, même sur ça. comment l'expliquer à un enfant, après tout, sans avoir recours aux esprits de la nature pour tenter d'atténuer la douleur ? la sienne, de famille, en tout cas, n'avait pas su.

Daim n'était pas sûr de vouloir aborder de front ce sujet avec Sani mais... en commençant de parler de ses croyances, de son identité... il ne pouvait pas exactement rester muet. il essayait tout du moins de faire confiance à son instinct qui indiquait que Sani était plutôt quelqu'un de bien, mais sa bouche qui s'asséchait terriblement et ses paumes qui suaient malgré la pluie qui les recouvraient trahissaient ses doutes évidents.

c'est un bavard, daim, mais il sait écouter. oui, avant tout les clairières un peu trop paisibles et les fourrés aux abords des terrier, mais aussi la voix presque chantante de sa grand mère qui se mêle aux crépitements du bois dans le poêle, les instructions précises et un peu trop détaillés de son oncle alors que les muscles de ses cuisses lui hurlent de se relever à cause de la douleur. du coup, quand il sent que Sani commence de parler et ne s'arrête plus, il sait qu'il faut garder sa langue pour soit et tendre l'oreille. maintenant qu'il a partagé ses légendes et les croyances des sien, à sa manière, son camarade va aussi lui raconter quelque chose.

c'est pas un très joli sourire qu'il a là, pas plus que ses mots. rien à voir avec le jeune homme avec qui il a discuté d'oignons et de civets et qu'il a rencontré il y a quelques heures à peine. les phrases s’enchaînent moins bon, c'est comme si les mots eux même grinçaient. ils n'ont pas l'air d'avoir envie de sortir et il n'a pas exactement envie de les entendre mais il le fixe attentivement et écoute.

ouais c'est même moche. il ne sait pas quoi en penser. bien sûr, il y a des légendes sur ça aussi mais... mais ferme ta gueule c'est pas le moment, c'est ça qu'il pense au fond. il a peut être envie de le remercier de lui faire assez confiance pour partager quelque chose qui n'est pas facile à avouer. mais dire merci à de tels mots... non. du coup, il reste silencieux et lui offre la seule chose à sa portée : son attention. il attend patiemment la fin. ils ne voient plus grand chose mais les yeux du plus vieux sont habitués à la pénombre et s'accommodent vite. Sani n'est pas dur à remarquer, après tout, même sans le voir. sa voix prend toute la place dans la petite cabane alors il n'ose même plus bouger, comme si le cerf sous ses yeux allait fuir en vitesse une fois qu'il a remarqué sa présence. c'est à peine s'il s'autorise de respirer de peur de le couper.


il est sacrément touché, en fait, mais il ne comprend pas ce qu'il ressent alors il reste là, debout, incapable de dire quoi que ce soit ou de réagir. on pourrait presque entendre les engrenages s'aggriper et s'actionner dans son crâne. un petit sourire bienveillant lorsque l'autre parle de nouvelle chance, c'est tout. car ça, il le ressent, lui aussi. il a senti quelque chose dans cette invitation plus ou moins cordiale, quelque chose qu'il ne pouvait pas refuser même s'il ne l'aperçoit pas encore totalement ici.

il comprend rien, il sait pas grand chose et se sent perdu malgré la pluie qui continue de le rassurer, mais il peut commencer par un bout.

il ne sait pas dire merci, ni je suis touché, ni je suis désolé. tout sonnerait faux. alors tout ce qu'il peut lui donner, c'est un échange équivalent. pas chercher à comparer, à savoir qui s'en sors le mieux et qui a vécu le pire, non. simplement autant se mettre à nu que l'autre, même si ça fait toujours un peu mal d'aller chercher son coeur au fin fond de sa poitrine. même si ça fait mal d'écarter les côtes et tout ce qu'il a construit autour des mauvais souvenirs.

* j'aimerais bien que ça soit différent aussi. mais quand on est né comme ça...

inspiration profonde, il sait qu'il veut le faire mais ça ne veut pas dire que la tâche est si aisée. pourtant il l'aime bien, Sani, il veut partager ça avec lui. c'est peut être même pour ça que c'est dur. c'est dur d'être vulnérable.

* ma mère a pas consenti à m'avoir. mais chez nous, on... on tue pas les enfants dans le ventre. mais lui imposer de me voir, de voir cette souffrance tous les jours, d'être obligé de l'aimer, de la border, de lui raconter des histoires, de lui chanter des berceuses... il s'appuie sur un établi derrière lui. il a besoin de quelque chose pour rester debout. c'est mieux si on ne se voit jamais.

il ne fallait pas qu'elle ai quoi que ce soit à voir avec lui, on a promis que ce serait plus simple pour tout le monde. elle ne choisirait pas le nom, elle ne le tiendrait pas dans ses bras, pas même une seconde. c'est plus simple pour tout le monde. né dans un autre pays, coupé à jamais de ses racines pour qu'il ne puisse jamais retourner vers un chez lui qui n'a jamais existé et qui ne ferait que les blesser. c'est moins douloureux pour tout le monde.

merde, c'est qui, tout le monde ? pas lui, il a l'impression.

* je sais que c'est pas ma faute mais. ... bon, c'est comme ça que c'est et ça n'aurait pas pu être autrement. j'me raconte aussi parfois que ça va bien finir par servir à quelque chose de venir ici mais le péché est plus profond que ça. j'pourrais être un génie, qu'est-ce que ça change ?

est-ce que c'est car il fait sombre qu'il ne voit même plus Sani ? il a l'impression d'être ailleurs, il a envie d'être ailleurs, même.

en même temps. ça n'allège pas, de raconter tout ça, ça ne retire pas des années d'incompréhension et des questions qui ne valent même pas la peine d'être posées, mais il se sent un peu moins seul. il y a cette présence en face de lui bien sûr, mais ça va un peu plus loin que ça, après tout ce qu'ils se disent. ce n'est pas juste une silhouette sombre qui se découpe dans la lumière du jour teintée par l'orage, mais aussi quelqu'un d'autre qui partage ce secret.

tu le raconteras pas, dis ?

demander ça... non, il lui fait confiance, il ne peut pas le poignarder alors qu'ils sont tout les deux à vifs. mais tout ce qu'il peut dire sonne plat et fade, aussi bien tourné que cela puisse être, à côté de toute leurs vies résumées en quelques phrases à peine. beaucoup de larmes coulées ou essuyées et pourtant ça tient en si peu de choses.

* je parle un peu trop, non ? mais merci d'écouter.

le silence s'étire, uniquement perturbé par le bruit de leur respiration, le fracas des gouttes de pluie sur le toit et l'orage qui gronde maintenant plus loin. ça le rend un peu nerveux, Daim, étonnement. il a pourtant l'habitude des longs silences, à la maison, mais après avoir eu l'impression de vider son cœur et de l'étaler sans pitié devant ce garçon qu'il connait peu malgré toute la confiance qu'il lui inspire... ce n'est pas une sensation confortable ou agréable, d'attendre une réaction après quelque chose d'aussi... d'aussi intime. d'aussi lui.

il n'a pas les mots, il n'a plus de mots. il ne peut plus rien dire, il a l'impression de lui avoir déjà tout dit. qu'est-ce qui pourrait lui apprendre de plus ? il acquiesce, simplement, un faible sourire à peine visible sur ses lèvres serrées.

il a une bonne ouïe, entraînée ; une bonne vue, aiguisée. pourtant, il sursaute lorsqu'il sent cette main sur son épaule, qui n'a rien de menaçante ou de violente mais il n'a pas l'habitude de ce genre de contact. le contact tout court, même. pourtant, il sent quelque chose, entre eux. quelque chose qu'il n'ose pas dire à voix haute, mais après tout ça, pourquoi ne pas assumer ? mais il chuchote, ne veut pas briser ce qui se passe ici.

* à la vie à la mort.

c'est comme ça, maintenant, avec Sani. il le comprend trop, il sait trop, pour que ça ne soit pas autrement. c'est la seule façon qu'il a d'envisager l'amitié, la vraie, celle qui fait qu'on peut se souvenir de quelqu'un comme au premier jour même si on a perdu sa trace pendant une décennie. c'est beaucoup et ça semble si peu, ces six mots. mais il n'a pas d'autre façon de l'exprimer, alors il espère simplement que l'autre comprenne.

* merci.

merci.
merci pour tout merci d'être là merci d'écouter merci de comprendre merci d'être toi. merci.

il est temps d'y aller maintenant. encore une fois, Daim hoche la tête, peut être trop sonné pour rajouter quelque chose ou juste incapable de trouver une suite de mots qui convient. dehors, il fait moins sombre mais la pluie ne compte pas s'arrêter cette nuit et on finit vite par grelotter, les vêtements toujours trempés et collés à la peau, on n'attend juste le moment où on pourra les décoller et s'en débarrasser dans un coin de la pièce.

il n'est pas si tard que ça, mais le plus vieux a déjà envie d'aller se coucher, de s'endormir avec un petit sourire satisfait.

* j'trace au dortoir. ... à demain peut être ?

un dernier sourire, amical, avant de partir en courant sous la pluie encore torrentielle.