de l'amour au pétrole + jaystes

Jay laissait éclater de grands rires fabuleux sous le soleil orange. Il faisait cela à la vue de toustes, pour bien s'assurer d'inscrire sa superbe solaire sur tous les visages. A la commissure de son sourire paisible, il s'assurait un royaume insulaire, où il était consacré pour ses tranquilles largesses.

Il se tenait impeccablement en classe, et cela lui donnait encore davantage l'air de se couler dans un secret melliflu lorsqu'il était au club. Il desserrait alors le col de sa chemise et prenait un peu plus de place sur sa chaise. Bien sûr, tout cela était calculé, et il domptait vertement ses charmes artificiels, avec l’œil toujours à l'affût du public.
Et il voyait bien qu'Orestes avait peur du confort de sa lagune.
Il lui décrochait sans arrêt des sourires, et lui parlait autant de fois qu'il le pouvait sans que ça n'ait l'air soupçonneux. Mais Orestes lui refusait le trop-plein et se détournait de lui, à la recherche d'une ombre nourricière que Jay voulait alors écorcher de ses ongles. Le premier regard, primordial et nu, qu'il lui adressa brièvement lorsque l'autre garçon se leva avec fracas, était vide et empli d'une rancœur inquiète. Mais il s'habilla d'un sourire d'une douceur embarrassée, et se leva à sa suite.

Oh Orestes, tu t'en vas ! Attends-moi un peu.
Il s'empara de son appareil photo sans grâce et revêtit avec hâte sa veste pour s'élancer après Orestes. Il essayait de ne pas avoir l'air pressé, de faire comme s'il avait toujours été prévu qu'ils quittent la salle de club ensemble, et Jay en convainquit un auditoire imaginaire à la fausse nonchalance de son ton.
Jay posa sa main sur ce bras au fond inconnu pour lui imposer sa mièvre présence. Ça ne te gêne pas qu'on rentre ensemble, n'est-ce pas ? Il prit le rire stupide, bien sûr, pour un assentiment menti, puisque dénié par le rejet tacite de son geste - Jay ôta sa main de là avec un sourire contrit, d'une gêne feinte, car il avait horreur qu'on refuse ses invasions. Mais il consentit à n'en pas faire état, jetant au hasard un oh, pardon dont se foutaient les étoiles, et marcha à égalité avec Orestes.

Lorsque le garçon hachura le silence, il y eut quelque chose sur son visage qui empestait le fruit pourri oublié d'un autre été, et Jay enfonça ses deux mains dans ses poches.
Haha, pardon, je ne savais pas...
La fébrilité soudaine de sa voix était faite en larmes de crocodiles, mais il était vraiment pris du vertige terrible des incertitudes, des garçons qui peut-être ne l'aimaient pas. Pas un seul moment Jay ne songea qu'il aurait dû comprendre au bout de tant de refus.
Tu sais, j'ai l'impression que tu ne m'aimes pas. Oh, pardon de le dire comme ça- ça me rend un peu triste, c'est tout. Oh ça le rendait triste bien sûr, mais pas pour les belles aurores sur les joues infantiles d'Orestes ! Il était simplement jaloux d'un regard qui voyait autre chose que son irradiante présence. Mais c'est infiniment sincère, c'est répugnant et lacunaire et il vomit son coeur putride à l'inconfort artificiel dans sa gestuelle hésitante. On est dans le club ensemble et tout, et je m'entends avec tout le monde... A part avec toi. J'ai peur que ça nuise au club, tu vois. On doit travailler ensemble pour faire les articles après tout.
Alors, il sourit large comme sur les autels, c'est-à-dire en allumant l'incendie d'une menace tacite au fond de ses faux aveux, qui disent qu'il va falloir le regarder Orestes, sinon qu'il s'assurera que ça sera toi qu'on ne verra plus.
Orestes, tu ne veux pas essayer qu'on s'apprécie un peu, toi et moi ?

Il lève le nez et hume vaguement les poussières jaunies qui se détachent de la lumière. Ses poumons se colorent d'un crépuscule immonde, qui dégorgent toute la fausseté de son sourire. Il n'a plus envie de rien. Jay impose de lui-même l'arrêt et dévisage Orestes comme on soutient du regard un ami devenu moins que rien. Tout à l'heure il l'avait, d'un oh mais non voyons pas du tout, rassuré de la source chaude de son amour à sens unique, mais le ruisseau qui courait à ses lèvres malicieuses s'est tari d'un barrage énamouré. Désormais il le toise un peu et se passe une main gelée sur la nuque.
Ah, bon.
Si ça ne dérange pas les autres ! Mais son regard ne laisse pas le sien s'échapper, et lui impose une grammaire silencieuse, du bout de ses lèvres bombées de secret il laisse deviner tu n'as qu'à dire que c'est toi que ça ne gêne pas. L'oraison du soir suinte par les veinules lacunaires de sa peau, et sa peine misérabiliste se confond à ses menaces à l'eau de rose.
Moi, ça me dérange. Car c'est bien de cela dont il est question. Lyam ! ou les autres ! ou les divinités ! ont leurs noms terrassés par le sien dans cette conversation. C'est de Jay au bord de la nuit dont on parle.
Je fais des efforts pour toi. Pour qu'on s'entende toi et moi. Tu ne crois pas que tu devrais en faire aussi ?
Il parle tout doucement, et il copie aimablement le chant des oiseaux sans entendre comme il tranche le silence. Jay ouvre encore la bouche pour jeter encore un peu de sa colère du déclin, mais il voit bien l'auréole solaire qui se détache sur les joues d'Orestes, et il se tait à cause du reflux dans sa bouche.
Il croit comprendre.
Les syllabes éclatées et les frissons sur une peau timide, il croit les comprendre, et tend les mains pour les écraser au fond du puits de son cœur.

Pardon, je me suis emporté. Jay se corrige en gommant l'ombre de sa nuit, et fait doucement un pas vers Orestes. Il lève une main inconsciente, puis se ravise, pourtant assez proche pour empoigner le coton - il se ravise, et lui offre une tendre liberté. Il ne saisit pas tout d'Orestes, pas la précioseté pathétique de ses airs tombé du nid, ni l'ampleur de son ombre lumineuse.
Un sourire rasséréné se dessine un peu sur son visage, mais Jay est encore aveuglé par cette alerte trop vite donnée, qu'il faudrait écraser Orestes, qu'il faudrait étouffer son - ignorance à l'ombre des saules. En fait, j'ai l'impression que tu ne m'aimes pas. J'ai peur d'avoir fait quelque chose de mal.  Sa bouche est joli-cœur pour quelqu'un qui n'a jamais eu peur du sang de vos amours sur ses mains. Au secret du couloir, il se confond superbement à son rôle sur aucune scène - est-ce Jay qui a peur ou juste la plastique rêvée de son jeu : comme à chaque fois qu'il est égaré, il se contient bien, mais il y a quelque chose de vrai dans son sourire peiné. J'espère que non, sinon, je me sentirais trop mal. S'il te plaît, dis-moi, est-ce que je t'ai dérangé ?

hrp/ Qu'est-ce que la concordance des temps

En fait, Jay ne voyait pas bien. Ses deux iris se croisaient sur un point focal précis, où convergeaient les épaules flottantes d'Orestes, dont la peau empestait une maladresse sagement dorée ; et il ne voyait pas exactement. C'était comme s'il cherchait intensément du regard à saisir l'autre au vol, car Orestes n'existerait pas tout à fait. Il louchait sur son cœur cru comme on épie un nid de moineaux perché en haut des arbres - il a froncé un peu les sourcils et ses lèvres se sont retroussées en une moue contenue. Il n'a pas même réagi à l'attestation des amours d'Orestes, car Jay prenait cela pour acquis et avait bien l'habitude d'être apaisé ainsi, qu'on s'assure bien qu'on sache qu'on l'aimait. Lorsqu'il l'entendait, il n'était pas surpris, seulement rassuré.
Il a pris une grande inspiration et pousse un soupir ardent. Bon... Pas besoin d'en faire tout un plat, alors. Comme s'il n'avait pas lui-même allumé ces brasiers ! Il se passe une main sur la nuque et lève encore les yeux vers le crépuscule, mais il voyait bien que le soir est arrivé. Un sourire bleu nuit s'est faufilé sur son visage et il s'est tourné de trois quart vers Orestes, l'air de porter avec lui des secrets mutins, comme lorsqu'on a fini de pleurer ensemble.
C'est un peu bizarre, non ? Y'a aucune raison d'avoir peur ou quoi. Il se massait encore la nuque, sans trop savoir d'où venait la gêne qui y poignait là ; d'ordinaire, il n'était pas pudique pour un sou et pensait avec l'innocence des seigneurs qu'on entrait dans son sillage comme dans un moulin. Après tout, on est pareils. Étudiants et tout. Tu n'as besoin d'être à la hauteur de rien. Ses mains sont retombées dans ses poches. Il n'a pas cessé de sourire, peut-être parce qu'inconsciemment il savait l'énormité qu'il venait de dire. Comme il était soulagé ! Jay souriait plus large, sans s'apercevoir que du regard il cherchait encore Orestes dans la silhouette floue de ses vêtements trop larges. Il fait un pas vers lui ; il ne voulait pas le laisser partir ainsi, il voulait
le trouver
le voir
le toucher !
Il lui fallait saisir Orestes et ne plus feindre de l'avoir trouvé à la confluence de ses paroles absconses.
Ah oui, c'est vrai. Jay arrête à temps sa main avant qu'elle ne se ferme sur l'avant-bras d'Orestes. A la place, il essaie de le caresser de son sourire-belle de nuit. Dis-moi, est-ce que tu ne veux pas qu'on passe un peu plus de temps ensemble ? Ça me ferait super plaisir, et peut-être que ça ira mieux entre nous. Qu'est-ce que tu dirais que je t'accompagne pour tes interviews ? Je pourrais faire les photos d'illustration. Hein, qu'est-ce que tu en dis ?
Il fronce le nez et son regard se fixe sur un foyer illusoire, qu'il se figurait lumineux comme un soleil de bon matin, et il décide d'ignorer qu'il sentait sur sa nuque la brise menaçante des aurores imprécises. J'ai vraiment envie qu'on s'entende bien, tu sais.

Ah c'est comme ça alors, Orestes persiste à vouloir décrocher les branches de son sourire étoilé. Il lui porte ce genre de coups - faibles et putréfiés de bassesse, comme le portent les oiseaux malingres de mauvaise augure.
Jay a de nouveau froncé les sourcils, mais cette fois c'était avec quelque chose d'une sincérité froide, brisée à un pôle de bile boréale : il voyait bien qu'Orestes ne mentait pas.

Moi ? Je vais leur faire peur ?

Mais quoi, mais non. Il n'y avait rien d'effrayant ni de monstrueux dans son visage chéri de tous les peuples - tout au plus Jay prenait une peine innocente à écraser les foules de basse-cour d'un sourire régal, mais il n'avait jamais fait peur à personne. Il savait bien cela, pour avoir été réduit à la bêtise primaire de sa plastique trop peu diaphane au goût de tous les yeux, de toutes les mains qu'il ignorait encore s'être serrées sur son cœur - et par-dessus tout, il détestait qu'on mente à cette face étrange, la seule qu'il avait.
Ça veut dire quoi, une tête comme la mienne ? Il fait un pas mais son dos cette fois est droit comme les chiens qui se mettent en garde. Réponds, toi, pour essayer. Ça veut dire quoi une tête comme la sienne lorsqu'on a un physique pareil et un sourire pareil et des parents pareils et un amour pareil, émietté sur tous vos piédestaux pathétiques en cristal de sel. Bien sûr, Jay a la bienséance de ne pas le dire, mais ça transpire par l'ourlet tendu de ses lèvres, qu'il pense que
peut-être toi tu te crois mieux que moi
mais il ne peut pas clouer la poiscaille sur des croix de misère de ses propres mains, donc il ne le dit pas.
Toi, tu mens ? A la place Jay lève le menton et agrandit ainsi encore la distance Terre-Soleil entre eux.