oh hi thanks for checking in I'm still a piece of garbage

ça fait mal. c'est toujours très subjectif, les échelles de douleur. vous savez, quand le médecin vous demande sur une échelle de 1 à 10 où est-ce que vous placeriez la douleur que vous ressentez à l'instant. c'est utile, mais il parait qu'il y a beaucoup de biais car beaucoup de gens n'ont pas envie d'être pris pour des gens qui exagèrent alors ils ont tendance à minimiser la douleur qu'ils ressentent. peut être aussi car ils n'osent pas, devant le médecin. si vous passez beaucoup de temps dans une salle d'attente, dans les hôpitaux vous verrez peut être cette échelle, expliquée et détaillée échelon après échelon, pour tenter de dissiper ce biais, en essayant d'évaluer la place que prend la douleur dans la vie du patient. est-ce que c'est une simple note de fond lorsqu'il ne fait rien ? est-ce qu'elle empêche de faire certains gestes complexes ? est-ce qu'elle entrave des actions du quotidien ? est-ce qu'elle empêche de suivre des raisonnements complexes ? est-ce qu'elle prend le pas sur tout le reste et monopolise les pensées du patient ?

... quelque chose comme ça.

Bic, il en a vu, de ces échelles. des diagrammes et des schémas et du texte et encore beaucoup de textes avec des mots susurrés comme si hausser le ton aggraverait la douleur. il a eu les yeux rivés dessus pendant des journées interminables, des semaines, des mois.

autant dire que le jargon médical, ça lui parle très bien, même si étrangement sa mâchoire se contracte au moindre mot plus ou moins proche du lexique de la santé. mais ça n'empêche qu'aujourd'hui, tout ce qu'il trouve à dire, c'est putain ça fait mal. en boucle, plus ou moins fréquemment selon ce qu'il est obligé de faire. ce genre de jours, il a toujours envie de les passer enfoncé au fond de son lit, enroulé dans sa couette pour bloquer les rayons du soleil. mais heureusement qu'il n'aime pas son coloc car sa fierté le pousse à se lever. les responsabilités aussi. il n'est pas tout seul mais il n'a pas envie de laisser tomber les élèves comme ça, alors tant pis, il sera là même s'il doit insulter la terre entière. au pire, ça élargira un peu le vocabulaires des jeunes.

mais même avec toute la volonté et le professionnalisme du monde, ça devient intenable. il devrait sûrement jeter un oeil aux différentes activités des club de fin de journée pour être sûr que personne ne détruise les locaux mais son corps entier le supplie de sortir, de prendre l'air et de s'empoisonner un peu plus pour oublier temporairement.

* ah putain...

une cigarette déjà allumée au bout des lèvres, la démarche lente et pesante de quelqu'un qui est visiblement déjà au bout alors que le soleil n'est même pas couchée.

le surveillant plisse les yeux et remarque plusieurs silhouettes. heureusement, uniquement des ados, notamment le club jardinage qui a l'air de... de faire n'importe quoi. il n'a pas assez d'énergie pour s'en occuper alors il se dirige toujours avec prudence vers une silhouette isolée qu'il reconnaît facilement à la couleur des cheveux. c'est ash. il l'aime bien, celui là. il se plaint pas beaucoup et il a l'air d'écouter pendant qu'il radote comme un vieux con des heures durant. alors, sans pitié, il vient s'asseoir à côté de lui sans pouvoir retenir un grognement de douleur, prêt à radoter comme un vieux con.

* salut p'tit gars. ça boume ?

ça va. bon, si ça va... Bic sait qu'il vient se plaindre. la douleur continue de se propager, l'assomme par vagues, mais il ne peut s'empêcher de se sentir un peu mal à l'idée d'aller déverser sa litanie de plaintes. mais bon, si l'autre ne va pas si mal... c'est moins pire, non ? il se doute tout de même qu'un adolescent doit sûrement avoir beaucoup de problèmes, entre la puberté, le rapport aux autres et le fait d'être enfermé dans un pensionnat pas aussi fantastique que ce que les agents du gouvernement envoyés aux quatre coins du pays ont pu dépeindre.

mais si ça va... il peut démarrer les hostilités, non ? entre deux bouffées de cigarette il offre un sourire au plus jeune, un sourire qui disparaît plus vite qu'il ne le souhaite.

* on va pas se mentir, c'est pas la joie.

les yeux rivés sur le soleil, qui commence paresseusement de se coucher. il semble encore haut dans le ciel, mais dégringole vite, pourtant la température reste la même.

* je sais pas si c'est à cause des orages ou quoi, mais... j'ai de plus en plus mal, en ce moment. pourtant j'ai piqué des cachetons à l'infirmier. heu, merde. je devrais pas te raconter ça, non ?

non, il ne devrait pas. pourtant, il n'a pas envie de mentir à ce gosse. alors il ne peut que rire un court instant, un peu gêné, et hausser les épaules. avec un peu de chance, Ash est assez discipliné et sage pour ne pas tenter le coup. ... bon, de toute façon, il n'ira jamais gronder personne qui fait ça. à la limite, il se contentera de donner des conseils pour ne pas se faire toper la prochaine fois et s'épargner une visite à l'infirmerie pour écouter ce con de toubib râler.

* dis, tu lis quoi ?

ça prend de la place, la douleur. ça vous tient du matin au soir, attend le moindre moment inoccupé, la moindre seconde oisive pour se faire remarquer et se mettre debout sur la table sans demander son avis à personne. ça n'a que peu de considération pour soi ou n'importe qui d'autre présent au moment où elle décide de venir toquer.

ça prend de la place, dans la vie de Bic, même lorsqu'il murmure que tout va bien. alors parfois, égoïste, il ne veut pas être le seul à la voir prendre toute la place dans sa vie. parfois, il veut ne pas être le seul à la sentir tourner en rond au fond de son crâne, courir le long de ses nerfs à vif. parfois, il en a marre d'être seul, et malheureusement pour Ash Blue, il semblerait qu'il soit souvent dans son champ de vision lors de ces moments.

mais en l'entendant toussoter et en écoutant ces mots un peu creux que l'on dit toujours lorsque quelqu'un vient se plaindre, le surveillant se sent un peu mal à l'aise. il ne regrette pas totalement, discuter le distrait de cette tension qui le colle depuis ce matin, mais il se rappelle qu'il ne devrait peut être pas traiter les élèves comme des adultes. c'est évident, lorsqu'il doit aller crapahuter dans tout le domaine pour trouver des crayons de couleurs à nuni, mais un peu moins lorsqu'ils les voit,
les autres.

merde, Bic, c'est pas car t'es déjà un vieux croulant que tu peux te laisser aller comme tu veux, non ? tu sais très bien ce que ça donne, de se laisser couler. être une loque immobile au fond d'un lit qui crache son venin sur le moindre passant, peut être que ça t'a pendu au nez, mais tu as choisi autre chose, alors va un peu au bout de tes choix. le venin... bon, on ne peut pas tout changer d'un coup.

est-ce qu'il aime lire ? il ne connaît pas le livre dont on lui montre la couverture. il ne connait pas beaucoup de livres, à vrai dire. il y avait toujours autre chose à faire, pendant si longtemps. sortir, faire semblant d'étudier, le travail. et le fait de lire, en soi... ?

* j'ai pas beaucoup lu, quand j'avais ton âge. je préférais regarder les anime qui passaient à la télé... il hausse les épaules. quand j'ai été cloué au lit pendant plusieurs mois, j'ai lu, surtout pour me changer les idées.

n'importe quoi, les dictionnaires médicaux, les romans d'aventure du 19e siècle, les atlas illustrés. est-ce qu'il en a retenu quelque chose ? quelque chose d'autre que quelques lignes sorties de leur contexte, des images floues, des intrigues qui lui échappent dès qu'il essaye d'en garder quelque chose de précis et le ciel qui s'offre à lui lorsqu'il lève les yeux n'est d'aucune aide.

* bah, dans le fond je crois que je préfère toujours les dessins animés, même si j'en ai pas vu depuis des années. qu'est-ce qui est à la mode, aujourd'hui ?

Bic n'a pas l'impression d'avoir dit quelque chose d'exceptionnel, il n'a jamais cette impression, pourtant le gamin relève deux grands yeux étonnés vers lui. il ne peut réprimer un sourire en voyant ça, est-ce que c'est si choquant, un adulte qui parle de dessins animés ? pourtant, il est persuadé que toute sa génération en a regardé, en même temps que lui, collé à l'écran de télévision dès qu'ils rentraient de l'école.

peut être simplement que personne n'ose l'avouer ? il aimait bien ces moments, pourtant, même s'il n'en retient pas grand chose, alors il ne s'en cache pas. c'était sympa, de courir jusqu'à la librairie une fois les cours et les heures de club finies, pour aller se cacher entre les rayons pour lire des mangas en essayant de ne pas se faire gronder par le libraire qui voulait extorquer le peu d'argent de poche qu'ils avaient en leur proposant des séries de plusieurs dizaines de tomes.

son époque, c'était les histoires de héros, les jeunes élus qui parvenaient à renverser la destinée de tout un monde par leur simple force mentale et physique.

est-ce que ça le faisait rêver ? bien sûr. c'est peut être même ça qui l'a précipité dans une vie qui a très vite arrêté de lui sourire. mais il n'aura jamais la réponse, pas plus qu'il saura ce qui se passe à la fin de toutes ces séries interminables,
alors tant pis. autant garder les bons souvenirs qu'il a et ne pas trop chercher à les analyser.

car il a surtout apprécié tout ces instants, alors il sourit de plus belle lorsqu'il entend parler de quelque chose qu'il connait.

* si je connais ? j'avais 10 ans quand c'est sorti, impossible de me décoller de la télé. il se permet même un clin d'oeil complice en direction d'Ash, content de voir qu'il arrive quand même à partager quelque chose avec les jeunes du domaine, même s'il ne s'attendait pas à ça. je ne savais pas que les plus jeunes l'ont aussi regardé. mais on ne doit pas y voir la même chose, avant j'adorais naruto mais maintenant je préfère kakashi, je t'avoue.

le surveillant passe toutes ses journées à se torturer sur comment surveiller les élèves et remplir des rapports qui feront plaisir à ses chefs tout en essayant d'être un minimum sympa, mais il n'avait vraiment pas imaginé que la solution puisse être ça.
ça ne doit pas être la formule magique pour tous, mais c'est déjà un début, vu comme Ash semble plus ouvert et bavard, dès qu'ils se retrouvent sur ce sujet là. ça vaudrait le coup de tenter avec Nuni aussi.

trop distrait par ses propres histoires et ses intérêts d'enfance pour totalement comprendre l'état dans lequel Ash est, il se contente de garder le même sourire détendu, à peine interrompu par cette douleur qui refuse de le lâcher depuis ce matin,
ça fait du bien de se changer les idées, en fait.

* ah, je connais pas cette autre série, par contre, c'est sûrement un peu trop récent, je suis déjà un peu un vieux schnock et surtout on ne captait aucune bonne chaîne à l'hôpital...

il se souvient des heures à s'engueuler avec le voisin, qui lui volait la télécommande dans la nuit en pensant qu'un estropié n'oserait pas venir lui arracher dans la journée, en rampant s'il le faut. ... il n'a pas vraiment regardé la télé, mais ça a bien occupé ses journées. sûrement que tout ceux qui ont eu des frères et soeurs ont connu ce sentiment. peut être que ce n'est pas tant un ovni que ça, parmi ces jeunes qui sont à peine de la génération suivante et qui ont presque l'âge d'être ses petits frères ou soeurs... ?