ravage moi ♡ noah

tu venais de terminer de ranger tes affaires, les vêtements soigneusement pliés et rangés dans l'armoire qui t'avais été attribuée, ta valise au fond de cette dernière, de nombreux livres de droit, quelques livres sur les plantes que tu affectionnais, et dans l'armoire, un petit sachet de plantes séchées, confectionné par mirai lui-même, pour que tes vêtements sentent toujours bon. il t'avait donné ça en espérant que tu continues de penser à lui, même lorsque tu serais loin. il avait aussi dit que tu ne devais pas être triste de partir, qu'il s'en sortirait bien. il allait reprendre ton travail chez le fleuriste, dès qu'il pourrait.

allongé sur le lit qui serait le tiens durant toute l'année, tu observais le ciel clair à travers la fenêtre. à peine quelques nuages se laissaient entrevoir, au loin. c'était une belle journée, mais tu avais le coeur lourd. le trajet avait été pénible. des heures durant, dans la voiture, avec ta mère et mirai, qui avait tenu à venir. papa n'avait pas voulu venir. mais papa n'avait pas menti : tu n'étais plus rien. lorsque tu étais sorti de l'hôpital, il n'était pas venu. on aurait pu croire que tu l'aurais fait changer d'avis, qu'il se serait inquiété, mais non. il ne t'adressait pas la parole, faisait comme si tu n'existais plus, et aux voisins, aux connaissances, il avait raconté que tu avais fais un fâcheux accident alors que tu rentrais du travail.

maman ne t'avait pas souhaité bonne chance, elle n'avait pas fait grand chose d'ailleurs, tout juste te prendre froidement dans ses bras, alors qu'autrefois elle aurait fondu en larmes. et puis mirai. il était resté avec toi pendant près d'une demie heure après votre arrivée au pensionnat. il avait visité avec toi, avait regardé ta chambre. il aspirait sans doute à suivre tes pas à l'avenir, si le programme recommençait. il s'était montré curieux et intéressé. mirai te manquait déjà. il avait dit qu'il préviendrait luca, et qu'il lui dirait de t'écrire. luca était venu à l'hôpital, pas longtemps avant que tu sortes, mais tu n'en avais pas vraiment de souvenir. tout te semblait flou depuis que tu avais ouvert les yeux. impossible de mettre des mots sur ce que tu ressentais, si ce n'était un immense vide.

lorsque la poignée de la porte bascula, tu te redressais pour t'asseoir, c'était machinal, tu étais devenu un robot. tu n'avais plus de sentiment, plus de but, juste des mécanismes à la place du coeur. il fallait te relever pour être poli, pour souhaiter cordialement la bienvenue à ton futur colocataire, puisqu'il s'agissait sans doute de lui. peut-être qu'il allait venir avec ses parents, des gens aimants et tristes de le laisser là. alors il faudrait faire bonne figure, sourire pour ne pas avoir l'air d'avoir envie de disparaître, leur inspirer confiance, leur faire comprendre que tout irait bien. alors tu souriais, de ce sourire que tant aimaient, sans savoir à quel point il était devenu creux ces derniers temps.

T’aurais pensé être heureux en posant les pieds dans le domaine, des étoiles pleins les yeux quand tu les aurais posés sur les divers bâtiments qui composent le pensionnat, là où tu passeras l’année. T’aurais pensé ressentir du soulagement, une fois au sommet de ta destination, sans avoir envie de regarder derrière toi. Tu pensais à un million d’autres trucs du genre mais, une fois les faits présentés devant toi, tu pouvais plus faire semblant ; t’avais aucune envie d’être là, cet endroit n’était pas fait pour toi, et tu regrettais tout ce que tu avais laissé en bas de la montagne. T’avais qu’une envie alors. Descendre et retrouver ce que tu avais perdu.

Les yeux fermés, tu inspires profondément, essayant de te faire à l’air différent de celui auquel tu es habitué. Il est trop tard pour faire marche arrière, tu en es bien conscient. Et il était déjà trop tard, avant que tu ne saches que tu voulais rester là-bas. Que tu voulais rester pour lui. Peu t’importait d’être invisible à ses yeux, en particulier maintenant, puisque tu voulais simplement être là. Présent en cas de besoin. Et tu ne peux plus, parce que tu es ici. La vie est faite d’un tas de sacrifices qu’on se doit de faire dans le but d’avancer, mais ce sacrifice-là, t’étais pas préparé à le faire. Tu ne voulais pas le faire.

C’était sans savoir que le destin allait te jouer plus d’un tour, t’arrachant ce qui t’était le plus précieux pour te le rendre de la manière la plus inattendue qui soit ; tu n’étais jamais prêt pour ses caprices et tu jouais sans le savoir dans le creux de sa main.

Si tu avais su ce qui t’attendait dans ta nouvelle chambre, tu n’aurais pas autant pris ton temps pour la rejoindre, remettant ton petit tour du domaine à plus tard. Mais, puisque tu étais ignorant des rouages de l’univers, c’était avec nonchalance que tu découvrais ta chambre. Tu t’arrêtas cependant aussitôt, main sur la poignée et sac tombant de ton épaule pour s’échouer sur le sol dans un bruit sourd. Un peu comme ton cœur. Tu devais bien avoir raté deux ou quatre battements, alors que ton regard s’était inévitablement posé sur le seul occupant de la pièce.

Ciel.

Tu ne sais pas bien comment mais, tu réussis à fermer la porte derrière toi, poussant ton sac du pied pour le dégager du chemin. T’exhales l’air qui t’était resté coincé dans les poumons sans que tu le réalises, mais ça te fait l’effet d’une bombe qui se déclenche. La réalité qui t’explose à la face. Il est là, en chair et en os, sauf que t’es pas dupe un seul instant, compte tenu de tout ce que tu sais (mais tu sais si peu). Son âme est ailleurs et ça te brise de le voir ainsi, de constater que son sourire duquel tu étais tombé profondément amoureux et t’avait toujours aidé, soutenu, sauvé.... n’était à présent plus que celui d’un ange dont on avait arraché les ailes.

Ta salive passe mal dans ta gorge nouée. Qu’es-tu supposé ressentir, à cet instant ? De la joie, pour avoir l’occasion inespérée de le revoir encore une fois. De l’inquiétude, par rapport à la dernière fois que tu l’as vu, dans la condition dans laquelle tu l’as trouvé. Mais t’es juste troublé, tourmenté par ce sourire vide, apeuré par ce qu’il signifie, attristé de ne pas savoir que faire, que dire. Mais il y a au moins une chose dont t’es certain, là tout de suite.

Tu ne voudrais être nulle part ailleurs (qu’à ses côtés).

Après une longue inspiration pour te donner du courage, ou juste la force de faire avancer cet instant, tu t’actives en ramassant ton sac que tu balances machinalement sur ton épaule, et t’avances d’un ou deux pas. C’est avec une certaine difficulté que tu le quittes des yeux, faisant semblant de t’intéresser au décor alors qu’il n’y a que lui qui t’intéresse, te préoccupe. Te hante.

J’savais pas que tu venais ici aussi. Enfin. J’ai pas demandé. Pas vraiment eu l’occasion.

Tu crèves d’envie de lui demander comment il va mais la réponse, sûrement fausse et couverte d’un sourire, te fait peur et t’empêche de prononcer ces mots. Puis, finalement, tu te plantes comme un piquet au milieu de la pièce, le regard rivé sur lui. Ta bouche s’ouvre mais tu ne trouves rien de plus à dire. Tu ne trouves pas les mots. Alors tu restes silencieux, les sourcils légèrement froncés dans ton trouble, ton inquiétude, ta confusion. Tu devrais juste lui dire ce que tu penses tout au fond ; que t’es juste content de le voir.

mais de l'extérieur, ce n'est pas une famille inquiète qui arrive. de l'extérieur, c'est noah. juste noah. et pendant une seconde, tu te sens terriblement mal, une pierre tombe au fond de ton estomac, c'est sûrement ton cœur qui s'est alourdit d'un coup. il est tout seul, noah. il est tout seul, parce que personne ne l'a amené ici. tes doigts se crispent sur le tissus de ton pantalon et ta respiration se bloque tout simplement au fond de ta gorge. ton sourire s'est fané et on pourrait croire que t'es triste de le voir, mais c'est tout sauf le cas. tu pensais laisser ta vie, ton passé de côté ici, mais il faut croire que le destin est cruel de le ramener là. de t'obliger à te confronter à lui. noah et toi, avez vous déjà été vraiment proches ? parfois tu ignore s'il t'apprécie ou te détestes, aussi tu ne t'es pas confié beaucoup à lui. sur tout et rien, mais jamais ce qui compte vraiment, de peur de l'embêter. même si, au fond de toi, t'as toujours eu l'impression qu'il savait déjà. qu'il savait déjà tout. peut-être même avant toi. noah n'avait pas forcément bonne réputation au lycée, mais tu t'étais quand même approché de lui. parce qu'il était gentil, avec toi. au début. et puis... et puis il avait été un peu bizarre, subitement distant, sans que tu ne comprenne vraiment. lorsque tu avais été obligé de te mettre à travailler, tu lui avais dis quelque chose comme j'ai trouvé un job, je vais faire des bouquets de fleur, c'est sympa ! je pourrais t'en apporter si tu veux. et il n'avait pas répondu. t'avais supposé qu'il voulait juste pas en entendre parler. peut-être que tu lui aurais balancé tout ton mal-être, mais t'avais toujours l'impression d'être de trop.

sa remarque ne fit qu'empirer les choses. tu détournais les yeux pour observer le ciel. il te semblait plus sombre qu'avant son arrivée, mais tu n'aurais su dire.


♡ je peux demander à changer de chambre si tu veux.

envolé ton sourire, envolé le masque que tu avais essayé de te créer pour faire bonne figure, tu retombes lourdement sur le matelas, un peu de poussière vole dans la pièce. tu l'observes passer devant la fenêtre, c'est joli, mais ça te rend triste, sans que tu ne saches pourquoi. alors tu préfères fermer les yeux.


♡ j'aurais voulu t'envoyer un message pour te dire, mais j'ai eu quelques imprévus.

le goût désagréable de l'eau du fleuve te chatouillait encore le fond de la gorge. pendant un instant, les yeux fermés et les bras en croix, t'eus l'impression d'y être encore, au fond de l'eau glacée.


♡ je suis vraiment content de te voir noah. je suis vraiment content de savoir qu'on passera l'année ensemble.

c'était vrai, évidemment, voir un visage amical dans cette chambre te rassurait. tu savais que si tu te réveillais en pleine nuit, en sueur, au milieu d'une terreur nocturne, noah serait là. tu en avais l'impression en tout cas. s'il décidait que tu changeais de chambre, c'était tant pis pour toi.

Ciel déversait du poison dans tes veines au fur et à mesure que les mots s’échappaient de sa bouche, te donnant une irrépressible envie de plaquer ta main dessus pour le faire taire et cesser de te torturer ainsi, même s’il n’en avait nullement conscience. Il n’a jamais eu conscience de quoi que ce soit, te concernant. Est-ce réellement juste en ce qui te concerne, ou de manière plus générale ?
Poings serrés, tu t’extirpes à sa contemplation douloureuse, balançant ton sac sur le seul lit qui te paraît inoccupé. T’as l’air sur les nerfs, Noah, et si tu continues, tu vas lui faire peur, lui donner l’impression qu’il a raison et que vous feriez mieux de ne pas cohabiter. C’est hors de question, que tu te dis. Si l’univers a choisi de le poser sur ta route, tu ne vas pas le contourner, tu ne vas pas l’abandonner (une seconde fois).
Tu l’écoutes très attentivement, même si tu parais distrait, à défaire tes affaires rapidement mais méticuleusement. T’as le cœur trop serré pour oser te tourner à nouveau vers lui, te confronter à ce qu’il est devenu - à ce qu’il n’est plus. Juste l’ombre d’une personne. Un jour, il a été le soleil de tes jours, à présent il n’était plus que la lune de tes nuits, mais tu ne l’échangerais pour rien au monde.

Arrête de mentir.

Un long soupir meurt entre tes lèvres, signant l’arrêt de tes activités. Tu poses l’objet que tu tenais lentement contre ton sac, perdant la force de continuer, et tu restes là un moment, à ne rien dire de plus, sans bouger. C’est douloureux pour toi de lui dire ça, mais c’est nécessaire, tu le sais bien. Puis, tu te retournes à peine, donnant plus l’impression de jeter un coup d’œil par-dessus ton épaule.

Arrête de mentir, Ciel.

Tu te répètes, oui, mais c’est dit avec plus de conviction malgré que ce soit sur un ton plus bas, qui laissera presque transparaître la souffrance que tu en tires, de prononcer ces mots venimeux. Il n’y a qu’une seconde qui passe après tes mots et le moment où tu te retournes pour lui faire face, le regard lourd, les traits un peu tirés, un peu torturés.

C’est pas grave, si t’es pas vraiment content de m’voir. J’y survivrais. Mais que tu mentes, à ce sujet ou un autre ? Non. C'est comme si tu me forçais à avaler de l’arsenic.

Tu dramatises en rien, contrairement à ce qu’on pourrait penser, à ce qu’il pourrait penser. Chaque fibre de ton corps te hurle de couvrir sa bouche, ce mensonge qu’il te sert, de le ramener à sa place là-haut parmi les étoiles. Il n’a rien à faire ici, parmi les mortels. T’en secoues la tête avant de glisser tes doigts entre tes mèches brunes, à la limite du désespoir.

Peu importe... Si t’as tant que ça envie de changer de chambre, je n’t’arrête pas. Tant que c’est réellement quelque chose que tu veux.

ah. c'est ainsi. menteur. traître. au fond il a raison de te traiter de menteur. t'as fait que ça ces derniers mois, ces dernières années. mentir à propos de la fatigue, de l'envie de continuer, de luca, et puis du reste, de tes parents, du travail, mentir à propos d'exister. t'es qui ciel. t'es qui pour lui imposer ta présence ? alors tu te redresses finalement, tu lui tournes le dos, parce que c'est trop. tu restes assis en tailleurs sur le lit, le soleil faible tape dans ta nuque, tu la sens brûler. tu rêves de t'embraser, de finir en poussière. t'as plus la force. t'as plus la force d'exister, et pourtant c'est censé être ta seconde chance. mais tu la vois comme une malédiction. sans même que tu puisses faire autre chose que le constater, tes lèvres se mettent à trembler dangereusement.


♡ excuse moi noah...

t'aimerais lui retranscrire à quel point t'es vraiment heureux de le voir ici. mais les mots s'embrouillent dans ta tête et tu mets du temps à parvenir à les faire sortir de cet amas de noeuds piqué d'épines.


♡ je suis heureux de te voir. plus heureux que je l'ai été depuis des semaines. je pensais me retrouver au milieu de gens que je connais pas, tous meilleurs que moi, tous hostiles, alors oui, j'suis heureux de te voir là.

tes joues trempées, tu tournes un peu la tête pour lui lancer un regard sans vraiment oser le faire, alors tu donnes juste l'air de regarder par terre, pas loin d'où se trouvent ses jambes. les rayons du soleil font briller tes joues. t'aimerais ressembler à une peinture de la renaissance, mais soyons honnêtes : t'es un désastre.


♡ je suis désolé si tu penses que c'est pas le cas. je suis désolé de pas savoir m'exprimer. je suis désolé si je te dérange noah. mais je suis vraiment heureux...

redis le et ce sera peut-être vrai. redis le et tu pourras peut-être enfin ressentir ce que tu aspires tant à ressentir. redis le encore une fois, c'est peut-être une formule magique. redis le encore une fois et peut-être que ton cœur se remettra à battre, qui sait, ciel ?

Tu ne le vois pas, mais tu n’en as pas besoin pour savoir, pour comprendre. Est-ce l’habitude d’observer autrui ou juste lui en particulier. L’un ou l’autre, tu remarques les mouvements quasi imperceptibles de son corps alors qu’il te tourne le dos, essaie de se cacher à toi pour une raison que tu ignores. Tes mots ont probablement touché juste, si ce n’est une corde sensible qui a déclenché un flot d’émotion qui s’écoule à présent le long de ses joues. Voir ses larmes ne te fait pas ciller, pas un tremblement, rien de plus qu’un soupir qui s’éclipse d’entre tes lèvres, comme accueillant un fragment d’espoir.
Tu lâches tes affaires, ne te sentant plus dans l’obligation de t’occuper avec autre chose, avec le besoin de bouger pour ne pas t’écrouler où tu te tiens. Non, maintenant tu peux t’avancer vers lui – peut-être pas sans risque mais tu es prêt à le prendre. Tes pas se font lents, silencieux sur le parquet, comme si tu approchais un animal blessé et potentiellement hostile. Ou es-tu l’animal et lui la proie ?

Tu le penses vraiment ?

T’inclines la tête, essayant d’attraper son regard du tien, cherchant sa vérité au fond de ses prunelles s’il te permet de la voir, de la connaître. Encore un peu et tu te tiens debout face à son lit, à quelques centimètres de le toucher. Tes bras restent ballants, le long de ton corps, et cette fois tu ne serres pas tes poings. Tu donnes l’impression d’être détaché, de cette situation, de tout, malgré la tempête en toi qui menace de déborder de ton enveloppe. Mais tu te contrôles, tu te fais aussi doux que possible, par envie comme par naturel face à lui.

Je peux ?

C’est une question à laquelle tu n’attends pas vraiment de réponse, puisque la seconde suivante, tu t’installes au bord de son lit. Pendant un instant, tu es silencieux, à nouveau. Ce sont tes pensées que tu as besoin d’organiser avant de poursuivre, comme si tu t’engageais sur un chemin miné et tu ne voudrais pas faire de faux pas. Les coudes sur tes genoux, tu entremêles tes mains, fixant les lattes du plancher.

J’pense qu’il y a quelque chose que t’as pas encore compris, Ciel... (Tu hésites un instant, ouvrant la bouche puis te rétractant, mais tu finis par parler.) Tu ne me dérangeras jamais et, si t’en doutes un seul instant, laisse-moi balayer tes incertitudes.

Lentement, tu oses un regard en sa direction, en essayant d’oublier ce moment où tu l’as sorti de l’eau et que tu pensais l’avoir perdu à tout jamais. Mais, quand tu le vois ainsi, tu te dis que tu n’as pas vraiment réussi à le ramener, que tu as oublié une partie de lui au fond du fleuve – et ça te fait mal, terriblement mal. Tes mots suivants n’en ont que plus de force, tes yeux brillent un peu (et ce n’est pas de la magie, rien d’aussi beau).

Je ne saurai être plus heureux que d’avoir la possibilité de passer cette année à tes côtés.

pas encore compris ? mais c'est lui qui ne comprend pas. comment pourrait-il comprendre quand tu n'expliques rien ? tu te tends, lorsqu'il approche, comme prêt à fuir au moindre contact, au moins danger. mais il ne vient pas. il reste distant, il s'est rapproché mais pas assez pour vous brûler tous les deux, et quelque part tu l'en remercie. tu ne sais pas comment tu réagirais face à un contact que tu n'as pas engagé. sur tes gardes, tu l'observes du coin des yeux, sans osé le fixer dans les yeux, alors qu'il te dit qu'il est heureux. lui, il a l'air heureux, tu l'envie. tu voudrais être comme lui. être sincère et pouvoir être transparent, quand tu as envie. tu l'envie, noah. tu l'envie parce que vivre n'a pas l'air d'être douloureux. bien sûr, ça l'est, mais tu n'en sais rien, parce que tu n'as pas demandé. si tu savais à quel point tu ne le mérite pas.

silencieux, tu laisses s'égrainer les secondes, pour retrouver un peu la paix qui t'avait quitté lorsque tes larmes avaient commencé à rouler sur tes joues pour s'échouer sur tes jambes. tes yeux se ferment quelques instants mais la sensation humide de l'eau glacée te lèche la chair, et tu tremble un instant, tu sursautes, te redresse, mal à l'aise.


♡ je suis mort là bas.

tu murmures, si bas qu'il pourrait ne pas entendre. tu ne veux pas qu'il entende. tu ne veux pas. il ne doit pas entendre, il ne doit pas s'inquiéter. tu reposes ton regard sur lui, soudainement timide. tu ne te forces plus à sourire et ton regard paniqué, inquiet, terrifié respire l'authenticité. et finalement, tu relèves fébrilement ta main, comme pour laisser tes doigts naviguer entre les grains de poussière qui volettent tranquilement dans la pièce. les médecins ont dit quelque chose comme il est sous le choc, mais ça reviendra, il reviendra à maman, lorsque tu entendais sans écouter. est-ce que tu reviendras un jour, ciel ? est-ce que tu resteras pour toujours enfermé dans un coin de ta tête ? pourtant, ces même doigts qui fendaient l'air se posent sur ceux de noah. contact brûlant que tu te fais pourtant violence à maintenir, quelques secondes du moins avant de retirer ta main. quelques secondes où tu étais en vie. tu reprends difficilement ta respiration, saccadée, comme si tu te réveillais d'un cauchemar. pitié que noah ne te prenne pas pour un attardé. ça se voit que ça ne va pas, pas vrai ?


♡ je veux pas te faire mal.

c'est ce que tu fais, pas vrai ? du mal aux gens. papa te déteste. maman a honte. tu aurais pu sauver mirai. et tu as probablement gâché la vie de luca. noah est si précieux, si précieux. tu dois le protéger. tu dois le tenir éloigné de tout ça. tu dois le tenir éloigné de toi.

Tu l’entends - en toi se bat le désir de le prendre dans tes bras dans une tentative de le réconforter, et la douleur de ce que ses mots impliquent, de leur réalité. Tes lèvres restent scellées, en une ligne parfaitement horizontale qui ne trahit par ton tumulte intérieur, gardant pour toi un fait évident ; tu sais. Ciel n’en est visiblement pas à la même page que toi mais, ça ne te surprend pas compte tenu des circonstances. Tu sais qu’il est mort là-bas et, même si tu as pêché son corps, il n’est plus qu’une coquille vide à présent. Et tu donnerais n’importe quoi pour le voir à nouveau rire de bon cœur. N’importe quoi.
Ses doigts laissent une brûlure invisible à laquelle tu tentes désespérément de ne pas réagir, déglutissant avec difficulté, le cœur lourd. Il bat, si vite, si fort, mais il se fait si lourd dans ta poitrine que tu es tenté de l’arracher de ta cage thoracique. Et si tu lui offrais, peut-être que Ciel vivra à nouveau pour de vrai, et ça te tente de plus en plus, ça te démange les ongles – puis tout s’arrête comme s’il avait soufflé la bougie du temps en une phrase.
Trop tard, ressens-tu.

C’est en te faisant du mal, que tu m’en fais.

Les mots quittent ta bouche avant que tu ne les penses. Tu les laisses s’emparer de l’atmosphère, pesant dans l’air, parce qu’ils sont vrais. Ils sont cruellement vrais. Alors, quand tu l’as vu sans vie, porté par le courant, ton cœur s’était arrêté de battre.
Tu t’en rends bien compte que t’as jamais été aussi franc avec lui, sur tes intentions, sur tes sentiments, et tu sens ça comme une erreur de ta part, de ne pas l’avoir fait plus tôt. T’as l’impression de ne jamais avoir été là lorsqu’il le fallait – il n’y a eu qu’à la fin que tu étais là et ce regret te ronge jusqu’aux os. Tu n’as pas l’intention de suivre le même chemin qu’avant ; il a obtenu une seconde chance (grâce à toi, Noah), et tu en as une de changer les choses à présent. Parce qu’il est là, et tu l’es aussi, et tu le resteras. Présent. Pour lui.

Ciel, est-ce que... est-ce que tu... (peux me dire comment faire pour t’aider, pour te faire retrouver le sourire, pour te ramener à la vie)

Mais les mots ne sortent pas. Ils restent bloqués dans ta gorge, comme interdits. Tabous. Il est trop tôt, te dit une petite voix. Tu ne peux pas charger ainsi, au risque de briser sa fragile carcasse, réduire en cendre le peu qu’il reste de lui. Mais comment faire ? Tu es si désireux de savoir, de trouver une solution. Tu serres tes mains, prêt à t’en briser les phalanges.

.. est-ce que tu pensais vraiment que je ne t’appréciais pas ?

♡ q... quoi ?
tu lui fais du mal. fais attention. tu le vois dans ses yeux, ce que tu pourrais lui faire. ce serait si facile d'aller trop loin, de le briser. oh alors c'est ton reflet que tu vois là dedans ? tu détournes le regard de peur d'y voir des choses que tu ne veux pas découvrir et reste pensif à sa question. reprends toi. reprends toi. aussi tu revêts ton masque. si tu es un spectre, alors tu veux bien hanter noah. noah te fait te sentir tellement en vie, s'en rend-il même compte ? tu imagines que non.

♡ tu... tu étais distant.
hésitant, fragile. tu as l'air d'une fleur qui subit le gel, prête à disparaître d'un instant à l'autre. précieux, impossible à toucher sans détruire. tes mains tremblent contre tes genoux, malgré l'air que tu essayes de te donner : tu ne contrôles rien. il détruit tes habitudes. tu ne peux être faux lorsqu'il est si près de toi. pitié ! qu'il s'éloigne. qu'il te laisse être faux ! qu'il te laisse respirer ! c'est si terrifiant d'être honnête.

♡ j'avais l'impression d'en faire trop. de m'imposer, et de t'importuner.
tu parles trop, soudainement, comme si on avait ouvert les valves d'un monstrueux barrage. tu n'étais pas à même de retenir tes mots, peut-être qu'ils blesseraient. peut-être qu'ils trancheraient, mais ils ne manqueraient pas leur cible, c'était certain.

♡ tu ne répondais pas à mes messages.
et ça ne s'arrête pas, ton esprit hurle de te taire, tu n'oses plus le regarder dans les yeux, tu fixes le vide, les yeux pourtant brillants de vie. tu es là. tu es là. tu existes. tu pourrais presque hurler pour qu'il t'entende. c'est sûrement ce que tu fais.

♡ j'étais de trop.

Dès qu’il commence à t’énumérer les faits qui l’ont poussé à penser que tu ne l’appréciais pas, tu te tends, crispé sur le bord de son lit, prêt à réprimer n’importe quelle réaction de ta part. Laisse-lui le temps d’y voir plus clair, de te dire tout ce qu’il a sur le cœur, de te donner toutes les informations à côté desquelles tu es passé jusqu’à ce moment.
Tu t’en meurtris les mains pour t’empêcher de t’emparer de sa fragile silhouette, l’emprisonnant dans ton étreinte là où tu pourrais lui jurer être son chevalier servant en armure étincelante, en sécurité pour toujours sans avoir le moindre souci à se faire. Tes jointures blanchissent et tu as la crainte au ventre qui, lentement, te dévore de l’intérieur.

Tes paupières s’abaissent avant qu’il n’ait terminé. Oh, Noah, tu étais si loin de réaliser à quel point tu le blessais par tes actes, lorsque tu ne cherchais qu’à te protéger, toi et ton faible cœur. Confus et terrifié par sa lumière incandescente à laquelle tu ne pouvais échapper - ne voulais échapper. C’était la première fois que tu ressentais quoi que ce soit pour autrui, et tu n’avais pas su comment agir. Résultat, tu l’avais blessé alors que tu voulais justement éviter ça.

Ses derniers mots claquent pareils à un fouet et tu tressailles, incapable de nier ta faute, mais il se trompe si fort sur tes intentions, sur ce qu’il représente réellement pour toi. Comment lui faire comprendre, sans dévoiler tes véritables sentiments pour lui ?
Un soupir tremblant t’échappe.
C’est le moment ou jamais, Noah. Si tu te loupes, tu peux lui dire adieu – et c’est hors de question, n’est-ce pas ? Alors tu n’as plus qu’à prendre ton courage à deux mots et ouvrir la bouche. Ouvrir ton cœur. Mais tu commences par ouvrir les yeux (afin de lui ouvrir les siens), libérant tes mains de leur douloureuse étreinte pour en égarer une qui frôle celle de Ciel, quémandant silencieusement sa pitié.

J’avais peur, avoues-tu à voix basse, faisant descendre la pression dans l’air. Tu l’avais sûrement remarqué, non ? Que je n’étais jamais entouré, au lycée. (Que tu étais toujours seul.) Et, sorti de nulle part, tu es entré dans ma vie, m’a considéré comme un ami – quelque chose que personne n’avait fait avant toi, ou bien était-ce moi qui ne laissais personne une telle occasion.

Comme s’ils étaient poussés par une volonté qui leur était propre, tes doigts poursuivirent là où tu t’étais arrêté et s’emmêlèrent avec les siens, avec tendresse. Tu t’installes plus confortablement sur le lit, donnant moins l’impression que tu étais prêt à t’en aller à tout instant, mais plutôt que tu étais préparé à rester là autant de temps qu’il le faudrait – autant qu’il le voudrait. Tu n’oses toutefois pas le regarder, fixant un point invisible.

J’avais commencé à te laisser te faire une place dans mon cœur et – comment dire, c’était jamais arrivé. Ça m’a fait peur et, dès que tu t’approchais un peu trop, j’pouvais que penser à ce qu’il se passerait, si – si tu prenais une place trop importante et que tu...

Tu tousses un peu, les sourcils froncés. C’est plus dur que tu ne le pensais. T’inspires un bon coup et c’est bien un sourire qui se forme sur tes lèvres, tandis que t’inclines la tête, un peu en arrière, un peu sur le côté. Tu le regardes pour terminer ton monologue. Il a besoin de savoir à quel point tu es sincère.

.. Mais, maintenant, tout ce à quoi je peux penser, c’est que je veux être à tes côtés. Je n’peux pas rester seul dans mon coin toute ma vie, à me languir de ta présence, par peur qu’il puisse t’arriver quelque chose.

Tu réalises ensuite que tu as sa main dans la tienne et, plutôt que de la lâcher, tu la resserres.

Je veux juste profiter du présent, si tu me le permets et si tu me pardonnes de t’avoir fait sentir ainsi pendant aussi longtemps ?

il parle trop noah. il parle trop. tu l'écoute, obnubilé par le bruit indisctinct qui s'échappe de ses lèvres. tu écoutes sans entendre. tu comprends sans imprimer. tu ne veux pas savoir. peut-être parce que tu sais déjà, peut-être parce que c'est déjà trop tard, qu'il n'y a plus rien à y faire. peut-être que tu es une cause perdue, et que ce n'est pas si grave. peut-être que c'est mieux comme ça. alors, ta main libre se pose sur celle de noah, rien que le temps de libérer la première, tu n'as pas honte de relever les yeux pour le regarder, pour le toiser, pour le juger, le condamner. comme s'il y était pour quelque chose, lui ? tu n'en sais rien. peut-être.

♡ je ne sais pas.
c'est trop tôt pour tout effacer, ou trop tard pour essayer. tes yeux se reposent sur l'extérieur. tu étouffe ici. tu étouffe dans cette immensité de rien, ce vide que tu peines à contenir. pourquoi ton cœur ne bat plus comme amant, ciel ? pourquoi rien ne te fait plus frissonner ? pourquoi c'est devenu sur dur, soudainement, de ressentir quelque chose, toi qui ressentais trop ?

♡ ce n'est pas si facile, tu sais. d'oublier. de pardonner.
ce n'est pas lui qu'il te faut pardonner, c'est évident. il ne le ressentira pas comme toi, si tu ne dis rien. mais les mots s'entremêlent et se mélangent, tu chavires. tu te noies, encore une fois. c'est presque quotidien à présent, un enfer qui se répète sans jamais te laisser une minute.

♡ ce n'est pas à toi que j'en veux noah. j'ai probablement mal compris ce que tu voulais, on attendait probablement pas les mêmes choses l'un de l'autre.
sourire bref à son attention, ta main se redresse, dans un premier temps pour caresser sa joue et le geste est transparent, mais la force ne vient pas et tu poses finalement tes doigts fins sur son épaule.

♡ c'est pas grave, tu sais. on est tous les deux maintenant, on pourra toujours faire la paix.
c'est pas comme s'il pouvait encore vraiment t'échapper ici, de plus. surtout si vous étiez amenés à vivre dans la même chambre. machinalement, tu t'éloignes, parce que le contact t'es encore désagréable, sans que tu puisses réellement dire pourquoi. ce n'est pas tant noah, que ton envie d'aller te loger dans ses bras. tu ne supporteras pas un nouveau rejet, ciel. peut-être que tu cherches simplement à vous protéger tous les deux. c'est sans doute plus facile comme ça, c'est sans doute plus facile de ne pas se faire d'idées, ta spécialité pourtant ! ton sourire est sincère, lorsque, debout, tremblant, affaibli, touché mais pas battu, tu finis par le regarder à nouveau. quelque chose brille encore, quelque part tout au fond de toi. une lumière qu'il a su ramener, d'un simple contact. un espoir que tu crains plus que tout au monde.

♡ j'espère que tout se passera bien pour toi ici, je te le souhaite en tout cas.
malgré les tremblements dans ta voix que tu peines à dissimuler, l'échange est si cordial qu'il en est douloureux. pourquoi le traiter comme un parfait étranger, abruti ?

Le sourire reste gravé sur tes lèvres même s’il n’a d’un coup plus la même saveur. Tes sourcils se froncent délicatement et tu exhales un souffle que tu avais retenu sans le remarquer. Ta main te semble si froide, maintenant qu’il l’a relâché (repoussé). Oh, toi qui ne voulais pas charger pour éviter de le brusquer, tu avais fait tout l’inverse. A présent, tu étais celui qui était bouleversé, même si tu n’en laissais rien paraître.
Déglutissant, tu acquiesçais doucement, ne le quittant du regard qu’une seconde. Le temps de ranger tes émotions dans les bonnes cases, à l’abri. Tout du moins, tu cherchais à le faire mais, lorsque tu tentes de te lever, tu réalises bien vite que ce n’était pas tout à fait réussi. Si tu essayais de te tenir sur tes deux jambes, elles allaient te lâcher aussitôt, tu le sentais. Ta tête te tournait.

It’s okay.
It’s okay.
It’s okay.

Ça l’était, pas vrai ? Tu te le répétais tant, comme une douce litanie, que tu l’avais probablement laissé t’échapper à voix haute, une fois ou deux. Et tu te lèves, finalement, lorsque la formule magique semble avoir fonctionné sur toi. Il ne voulait pas de toi, visiblement. But it’s okay, isn’t it ? Parce que tu préfères ça, son rejet, à ce qu’il disparaisse subitement, ne devienne plus qu’un tas de cendres que tu serais incapable de retenir entre tes doigts, se faisant emporter par le vent (comme il allait se faire emporter par le courant).
Mais, alors que tu es près de lui, prêt à le dépasser et accepter son refus, tu ne peux t’empêcher de le ressentir au plus profond de toi ; la douleur d’un cœur brisé. Mais ce n’est qu’une multitude de fissure, il reste encore en un seul morceau, il ne s’est pas encore échoué au sol pour voler en éclat. Il restera là, chaud, palpitant, dans ta poitrine, jusqu’à ce que Ciel ne soit plus là.
Cette pensée t’arrête alors que tu frôles son épaule de la tienne, incapable de faire le moindre pas de plus, de lui tourner le dos pour de bon. Avant que tu ne puisses t’en rendre compte, ta main s’est déjà emparée de son poignet, un geste mue de ton inquiétude pour lui (de ton amour pour lui). T’as pas la force de le regarder en face alors, tu le trouves dans le coin de tes yeux, toujours aussi beau qu’au premier jour, malgré sa chute des astres au bitume.

De toi, j’accepte tout ce que tu veux mais – mais Ciel, je t’en prie, ne te noie plus jamais.

détruit. c'est ce qu'il te fait en cet instant. il te trouble, te remue. et finalement, les eaux sombres du fleuve te semblent tout à coup parfaitement accueillantes. oh, tu n'y retourneras pas. tu as eu une chance, tu n'en auras pas deux. mais tout de même, cette phrase, ce murmure, posé là, qui vient faire vaciller la flamme que tu t'obstines à tenir allumée. non. non noah, tu n'avais pas le droit. non noah tu n'avais pas le droit de lui dire ça. tu n'avais pas le droit de lui dire. c'était ton secret, pas le sien. pas le votre. et soudain, ciel tu chutes, sans pour autant bouger. quelque chose en toi a éclaté. il sait. c'est une évidence. il sait parce qu'il était là. sorti des eaux troubles, c'est comme si tu sentais encore ses mains brûlantes contre ta peau glacée, endormie, presque pour toujours. maladroite approche que voilà, noah. tu le sais, pas vrai ? bien sûr que tu le sais. ça sonne comme du désespoir, un ne t'en va pas, ne me laisse pas, ciel. idiot. où veux-tu qu'il s'en aille, enfin ? tu ne vois pas, le poignard que tu viens d'enfoncer dans son armure affaiblie ? ne le retire pas, noah. ne le retire pas tout de suite.

tu relèves les yeux vers le jeune homme, d'un an ton aîné et vacille encore un peu. il sait, ciel. il sait, que va-tu faire ? il n'y a rien à faire. rien à dire. il ne sait pas ce qui t'a amené là-bas. peut-être pense-t-il que c'est un accident. mais ça ne ressemblait pas à un accident. oh évidemment que non. bras en croix, paupières closes, la chute était trop parfaite. calculée. il savait parce qu'il était là. il était là parce qu'il t'a sorti de là. il aurait dû te dire. il aurait dû être à l'hôpital. il aurait dû te rassurer quand papa n'est pas venu, quand maman a vaguement sourit, quand ses yeux voulaient dire j'aurais préféré que tu ne reviennes pas.

son épaule a heurté la tienne, ses doigts ont trouvé ton poignet, comme pour te retenir de faire n'importe quoi, et immobiles, ainsi, tu pries pour ne pas être dérangés. tu pries lorsque tu relèves les yeux vers lui, des yeux gorgés de larmes. depuis quand. depuis quand ne t'étais tu pas senti autant en vie ? depuis quand ? tu ne sais plus. des semaines, des mois, des années, peut-être. mais ton coeur bat, ton coeur saigne. ton coeur hurle de t'éloigner de noah avant qu'il ne te porte le coup fatal. parce que ça va arriver. parce que tout le monde fait ça, par chez vous.

♡ ne me laisse pas.
c'est ce que tes lèvres échappent tout bas lorsque ta main libre vient s'accrocher plus haut, sur son bras. tes ongles se plantent dans sa peau, cherche à lui faire mal mais surtout à appuyer tes mots. ne me laisse pas, parce que j'y survivrais pas, noah. sourire crispé, joues humides.

C’était plus fort que toi.
Tu ne voulais pas qu’il sache – pas comme ça, les mots soufflés comme un supplice – mais ils se devaient d’être dits tant que tu le pouvais encore, tant qu’il acceptait encore de t’écouter, tant qu’il n’était pas trop tard. Est-ce le regret qui fait trembler tes membres, est-ce l’amertume qui te fait serrer la mâchoire, est-ce la douleur qui te fait rester. Tu le regardes, au début du coin de l’œil, puis au fil des secondes, à mesure que ses sublimes prunelles se couvrent d’un voile humide, tu tournes la tête et tu fais même un demi-cercle pour lui faire face.
Ne me laisse pas, entends-tu. Oh, tu n’aurais pas pu le rater, tout ton être attiré par lui, à son écoute, à sa disposition, à ses pieds. Tu ne pourrais pas rater un seul de ses mots, un seul de ses souffles, un seul des battements de son cœur (il bat ! il bat!).
Dans ton corps, tout s’emballe, tout se met en état d’alerte ; le cœur battant à toute allure, comme s’il cherchait à t’échapper pour rejoindre Ciel. Ça n’a jamais été ton fort, de réfléchir avant d’agir, de freiner tes instincts, alors tu t’y fies.

Avec précaution, tu libères ton bras de l’emprise de ses doigts qui se font serres à t’écorcher la peau – tu ne lui en tiens pas rigueur, n’ayant probablement même pas remarqué. Puis, avec tout autant d’attention, tu l’attires doucement vers toi, sans faire le moindre pas pour avaler le peu de distance entre vous.
Sa frêle carcasse s’échoue contre ton torse et tu l’entoures de tes bras, avec une délicatesse et une tendresse que tu ne te connaissais pas jusqu’à ce que tu fasses sa rencontre. Tu le tiens dans tes bras si précieusement, comme s’il était la chose la plus importante dans ce monde pour toi (et c’est le cas ! c'est le cas !). Ton étreinte se fait aussi douce que forte, transmettant ton désir de ne pas le voir disparaître, de le garder près de toi - de ne jamais le laisser.
Il est glacé, que tu réalises subitement et tu ne veux que le tenir au plus près de toi, lui transmettre le plus de chaleur possible (le tenir en sécurité, loin de tous les maux de la terre). Ton front se pose contre son épaule et tu inspires (son parfum, son odeur, son essence).

Jamais, déclares-tu.

dévasté, il t'a laissé. ravagé. échoué sur des rivages inconnus, là, dans ses bras. des bras dans lesquels tu te blottis pour la toute première fois. incertain. cela fait des semaines, des mois, des années que personne n'a su t'enlacer comme ça. bien sûr, mirai - tout petit mirai - le faisait, maladroitement, même si ça lui en coûtait. tu t'en voulais, chaque fois que tu réclamais son contact, et qu'il s'y brûlait. mais noah. noah c'était différent. noah était blessé, fragile, imparfait, mais noah était capable de se lever et prendre les armes. il en était encore capable. et tu n'aspirais qu'à l'être aussi. qu'à le devenir. tu avais mille choses à apprendre de lui. posé contre lui, tu sens son coeur contre ton torse, et le tiens qui cherche à lui répondre, maladroitement, sans savoir comment battre, comme s'il avait oublié comment on fait.

il promet qu'il restera, il le promet sans avoir à le dire, et toi t'en es persuadé. tu peux avoir confiance en noah. tu peux sourire, avec lui. tu peux le toucher, personne ne dira rien. vous êtes amis, pas vrai ? c'est normal d'avoir des amis, c'est important. il n'y a qu'un ami pour faire battre votre coeur si fort, si vite. n'est-ce pas ? oh ça ne peut pas être autrement. tu n'en sais rien.

ta joue posée contre son épaule, tu fermes les yeux. tu reprends ton souffle, tu reprends vie. ça fait du bien, de sentir la quiétude revenir comme ça, une quiétude saine, pas la quiétude sourde du vide qui t'habitais jusqu'ici. tu es toujours glacé, pas encore vraiment là, mais c'est un progrès. tu pourrais rire, sourire, sincèrement, tu pourrais, s'il reste près de toi.