c'est l'heure du duel. (declan)

t'aimais pas trop te plaindre, en vrai. surtout en public, parce que c'était un peu genre admettre ses faiblesses, et puis admettre ses faiblesses c'était quand même une idée de merde quand on essaye de jouer au beau gosse tout le temps. sauf que voilà, le club jardinage, vraiment, c'était pas possible. il en était juste pas question. en fait, c'était plus que tu commençais à prévoir quand il faudrait aller s'occuper du jardin en plein hiver. tu voulais pas chopper la mort en fait. et puis tu voulais juste être au chaud, rencontrer des gens un peu moins au bout de leur vie, non parce que sans mentir, tous ceux qui squattaient le club jardinage avaient un peu l'impression de s'être fait enculer, faut dire ce qui est. quasiment aucun de vous n'avait demandé ce club et pourtant, forcés de constater où vous étiez inscrits.

* bon dieu j'en ai marre.

tu t'étais fais refouler, évidemment. et puis t'attendais dans le couloir pour retenter ta chance. enfin, t'espérais juste que quelqu'un finisse par craquer à force que tu viennes pour te plaindre. d'autant que, de ce que tu savais, personne d'autre du club n'insistait autant que toi du coup bon. mais assis sur le banc dans le couloir, t'avais juste capté une toute petit silhouette qui s'approchait doucement, presque un peu hésitant. tu connaissais pas ce gars - ou cette petite fille, difficile de dire - mais il avait pas l'air de savoir pourquoi il était là.

* yo. essaye même pas, ils sont super vénères là dedans.

c'était peut-être ta faute, zut.

t'aurais sans doute pu le laisser partir, après tout tu lui avais dis qu'il n'aurait pas dû rester et il écoutait. enfin, votre échange n'avait absolument rien d'anormal, mais tu t'étais réellement senti comme un pnj pendant quelques secondes et ça t'avait fait une étrange impression au creux de l'estomac qui t'avait poussé à te lever et venir le suivre. il t'avait pas fallu longtemps pour le rattraper à grandes enjambés et commencer à marcher à ses côtés. il était vraiment minus, genre typiquement le genre de personne que t'aurais bolossé en public, mais là t'avais envie d'être gentil, il avait de creuser un peu, sans vraiment savoir pourquoi.

* attends hé. c'est quoi ton nom ?

tu connaissais quasiment personne ici en plus. bien sûr, y avait tes mates de club, ton groupe mais bon, c'était pas ouf entre nous, t'aurais trop aimé te lier avec plus. peut-être pas vraiment avoir des amis au moins te faire un peu plus de connaissances quoi. tu lui jettes un regard, sans forcer de sourire, tu vois pas l'intérêt il va probablement juste t'envoyer chier.

* t'es cobalt j'imagine ?

p't'être topaze, en fait, il avait une dégaine de topaze un peu, avec sa petite bouille de fouine. sauf qu'il avait un peu trop l'air de s'en battre les couilles pour être véritablement un scientifique en quête de nouvelles découvertes.

bon, il était clairement pas loquace le marmot, mais c'était pas grave, ça te dérangeait pas plus que ça , toi, qui aimait bien faire la discussion. c'était un peu chiant de devoir genre ... écouter les autres, puis faire une réponse appropriée et tout. là tu n'avais qu'à faire la discussion tout seul. bon, ça risquait d'être un peu énervant au bout d'un moment mais jusqu'ici ça allait. disons que si à un moment declan te posait une question, tu allais probablement voir un peu flou.

* declan. c'est mignon. ça te va bien.

léger sourire, tu regardes à côté, histoire de voir si y a du monde dans le couloir et il s'avère que non, y a personne, en fait dans ce bâtiment y a jamais personne. c'est généralement désert et on entend vos pas très distinctement et c'est un peu effrayant, d'autant plus si tout à coup vous entendez des pas différents des vôtres. l'idée t'angoisse un peu mais tu te rapproches un peu de declan et passe un bras autour de ses épaules.

* t'es dans quel club ? t'es à quel étage au pavillon ?

silence.

* désolé, ça doit t'emmerder les questions.

oh tiens, il pouvait parler ce petit bout ? amusant. tu ne t'attendais pas à recevoir une réponse, ni même plusieurs mots d'un coup. du coup, inévitablement ça te fait sourire. tu l'aimes bien, tu sais pas pourquoi. sans doute parce qu'il cherche pas à fouiner ou à comprendre. ouais, tu aimes bien seulement les gens qui te ressemblent pas du tout, pas vrai ? remarque, t'as un peu côté comme declan, celui que tu montres pas trop.

* sani. c'est mon blaze.

pourquoi tu lui poses des questions, hé, très bonne question justement. tu t'arrêtes un instant, le regarde s'éloigner de quelques pas, avant de te remettre à marcher derrière lui, tiens, tu te demande où il va. est-ce qu'il trouverait ça bizarre si tu te mettais à le suivre ? au pire, t'avais déjà l'air bizarre dans un premier temps.

* pourquoi tu réponds pas ?

en vrai, c'était pas la première fois que quelqu'un te disait de lui foutre la paix et tout. loin de là. t'avais un sacré cursus d'harceleur chiant et de bully au collège et au lycée, mais cette fois t'avais pas envie d'insister pour le mettre plus bas que terre. en vrai tu voulais juste en apprendre plus. tu savais pas trop pourquoi mais ce mec t'inquiétait un peu. vous étiez pas si nombreux ici, tous à peu près du même âge, et tu n'avais pas tellement envie qu'on te dise qu'un des élèves avait fait un burn out et s'était jeté du toit parce que la pression ici était trop grande. t'en avais vu des écoles d'excellence - de loin, et souvent sur internet mais bon - et tu savais ce qu'il s'y passait alors. oui. tu t'inquiétais un peu pour declan. probablement qu'il avait des amis et juste aucun temps à t'accorder parce que t'étais envahissant et socialement peu acceptable, mais quand même.

* hé.

tu l'avais laissé avant devant toi, ralentissant de secondes en secondes avant de froncer les sourcils. c'était bientôt l'heure des cours - bien qu'ici ce soit l'heure des cours absolument tout le temps en fait - et tu aurais dû te rendre dans ta salle assez vite, seulement tu supposais que lui aussi, aussi pourquoi s'enfonçait-il autant dans le bâtiment ivoire ? il n'avait probablement rien à y faire, d'autant plus comme il s'était détourné de l'idée d'aller parler à l'administration devant toi.

* s'tu veux je te laisse là, mais moi après je connais plus le bâtiment. d'ici je peux te montrer la sortie.

quelque chose te répétait sans cesse de ne pas trop rester là, comme si quelque chose restait tapi dans l'ombre à vous regarder et guetter le moment opportun de vous sauter dessus. ce n'était clairement pas rassurant.

* j'ai bien vu.

évidemment, fallait pas être un génie pour capter que le pauvre petit declan était complètement largué dans le bâtiment. et bon dieu, t'avais tellement pas envie d'y passer la journée. mais de toute évidence il acceptait de pas trop faire sa tête de mule et acceptait de t'écouter, autant dire que t'étais quand même plutôt content. du coup, tu fis les quelques pas qui vous séparaient l'un de l'autre et tu attrapas son poignet pour le glisser entre tes doigts. declan était glacé. si glacé qu'on aurait pu croire à une apparition, et l'idée même qu'il puisse être le fruit de ton imagination te provoqua un violent frisson désagréable. tu savais pas pourquoi tu te mettais à penser ce genre de trucs, mais c'était clairement ni l'endroit, ni le moment opportun.

* t'as cours non ? où ça ?

t'étais prêt à l'emmener devant sa salle, juste pour t'assurer qu'il était pas juste dans ta tête. t'avais clairement pas la lumière à tous les étages aujourd'hui.

bon dieu. le petit machin allait te claquer dans les doigts si ça continuait comme ça. sérieusement, regardez la tête qu'il faisait, il avait l'air tellement pas bien. fallait dire, tu pouvais compatir plus que de raison, cette aile du bâtiment ivoire te mettait mal à l'aise. et pas genre un peu mal à l'aise genre c'est un vieux bâtiment un peu angoissant qui fait des bruits bizarres ... non. non, genre c'était un endroit où tu te sentais constamment épié. ni plus ni moins. et pour un mec un peu parano comme toi, ça aidait clairement pas. du coup t'avais très envie de prendre l'air un moment. alors t'avais glissé doucement tes doigts le long de son poignet, sans forcer, le but était pas de lui faire mal, pour simplement l'attirer dans la direction de la sortie.

* t'inquiète. tu peux demander c'que tu veux.

et voilà que tu te posais presque comme un chevalier servant. super crédible sani, super crédible.

oh non. des crises d'angoisse comme celle ci, tu en avais déjà vu plein sani. généralement t'en étais la cause. mais pas cette fois, cette fois c'était différent. cette fois c'était declan qui paniquait de retourner en cours. des gamins qui paniquaient des cours du domaine, ça t'étonnait pas. toi même, quand tu voyais ton tuteur, t'avais des sueurs froides. alors t'imaginais que ça pouvait être dur pour un gars comme declan, après tout il était pas hyper sociable, et il suffisait que son tuteur et ses camarades soient lowkey cinglés, ça devait pas aider.

machinalement, tu t'étais agenouillé pour le prendre dans tes bras et le serrer doucement, caressant son dos tendrement. il avait l'air si fragile, si vulnérable, comme si rien qu'en poussant un peu, t'aurais pu le briser en deux. alors vraiment, tu te méfiais. caressant avec précaution ses cheveux, tu chuchotas doucement.

* qu'est-ce qui t'angoisses le plus, en cours ?

il était parti. il s'était relevé et il était parti. declan t'avait fuit, comme si tu avais fait quelque chose de terrible, et après quelques secondes ça t'avait frappé : tu n'avais pas à faire ça. tu n'avais pas à le prendre dans tes bras, ce n'était pas forcément agréable, surtout avec quelqu'un qu'il ne connaissait même pas. non ça n'était pas agréable, et c'était même carrément déplacé. t'aurais bien voulu t'excuser, mais il était parti. et en soi tu ne lui en voulais pas, parce qu'à sa place tu aurais probablement fait exactement la même chose. tu aurais paniqué qu'on te voit dans un état pareil. mais bon, tu te jurais de retrouver declan à l'occasion et d'essayer de réparer les pots cassés, c'était toujours mieux que rien.