(TW VIOLENCE) ●● les faux dieux, ceux qui n'ont pas d'amours

ils s'observaient en chien de faïence depuis des minutes déjà. ni l'un, ni l'autre ne bougeaient ; et abrahel aux grands yeux étincelants, fusille du regard darwin en face de lui. il semblerait qu'il aurait pu l'étrangler en cet instant, la rage émane de son corps comme une aura, on l'a rarement vu comme cela.

* j'imagine que tu te crois très intelligent, garcia.

il n'y a plus de politesse, ni même de vouvoiement; il a abandonné il y a un moment, il a oublié. devant lui s'offre un problème de taille qui fait bouillir son sang. ils sont là, dans un couloir au hasard du bâtiment ivoire. ils marchent l'un à côté de l'autre sans un mot et c'est ce moment que choisit darwin pour lui dire - il lui a tout dit, il a tout déballé, comme s'il racontait une histoire anecdotique, comme si ce secret était insignifiant.

darwin, il sait.

c'est ce qu'il laisse entendre, avec trop de précision pour qu'abrahel puisse réfuter et crier au menteur, cependant. alors il le dévisage, comme s'il n'avait pas entendu, comme s'il avait vu un fantôme.

il a des flashs, des étoiles devant ses yeux. il voit rouge, écarlate. parce que darwin sait. hyunbin n'est plus son secret du tout, car quelqu'un écoute aux portes, car quelqu'un observe par le trou de la serrure. oh, comme les bruits de couloirs vont vite.

je vais l'étriper, il se dit, et l'idée s'accroche à son esprit un peu trop longtemps pour qu'il se dise simplement que ce n'était qu'une farce ; parce qu'il y pense pour de vrai, un instant.

* alors tu sais ? c'est bien. et donc, qu'est-ce que je dois en tirer ? je devrais avoir peur, peut-être.

il n'était pas dupe, et savait que son secret serait un jour dévoilé, serait un jour découvert. mais il ne pensait pas que ça se ferait comme ça - et que ce serait découvert par un homme qu'il ne portait pas dans son coeur. vraiment, quelle merde.

* tu as l'air d'être quelqu'un qui aime se faire détester.

aussi curieux que cela puisse paraître, il n'aime pas la confrontation. chez lui, les choses se font dans le dos, en secret, derrière les portes closes. c'est un poignard qu'on plante entre les omoplates, un poison discrètement glissé dans un verre. à vrai dire, il a rarement tué et regardé les yeux de sa victime en même temps. ce n'est pas une dispute au milieu d'un couloir, là où tout le monde peut les entendre.

il le regarde de haut et il n'aime pas ça. "il faut quelqu'un pour jouer le mauvais rôle", c'est faux et il le sait. il n'y a pas de rôles attribués, si darwin voulait arrêter de jouer aux cons dieu sait qu'il l'aurait fait depuis un moment. mais, non; le jeune homme a un sale caractère et c'est comme ça.

il le hait, il le hait. il se sentait devenir fou et se retenait de justesse. peut-être qu'il avait peur, mais certainement pas du pouvoir factice que darwin était censé avoir sur lui ; non, il avait peur du destin, il avait peur pour hyunbin, il avait peur de lui-même. de toutes les bêtises qu'il aurait pu faire, si on le laissait faire.

il aurait pu tuer darwin d'un seul regard, mais ç'aurait été trop facile.

* pitié, ne me fais pas l'affront d'être jaloux.

il n'a pas besoin d'une ombre au tableau, il n'a pas besoin d'un homme comme darwin à ses trousses. il fait quelques pas dans le couloir, sans inviter le plus vieux à le suivre; pourtant, il s'attend à ce que darwin l'accompagne. il y a un silence, électrique. la tension est palpable, assassine, elle aurait pu faire fuir n'importe quel étudiant croisant leur chemin à ce moment-là. il cherche à l'éloigner de toutes ces oreilles indiscrètes qui peuplent le bâtiment ivoire. alors, ils s'éloignent.

* je suis tout de même curieux de savoir ce que cela t'apporte de me faire une telle scène. tu l'aimes à ce point ?

abrahel ne le regarde pas. il jouait la carte de la désinvolture, presque de l'innocence. mais cela cachait un visage inquiet, des yeux apeurés - et un coeur qu'il savait battre la chamade, ce coeur qu'il n'aurait pu résoudre à ne pas battre pour hyunbin. triste sort.

il le hait
il le hait
̸i̴l̷ ̴l̸e̶ ̶h̴a̶i̸t̷

darwin lui tape légèrement sur les nerfs. il avance, encore et toujours dans le couloir qui ne se finit pas, une moue boudeuse sur ses lèvres délicates, esquintées par la nervosité. abrahel voyait rouge, écarlate même, la colère l'aveuglait alors qu'il tentait tant bien que mal de ne pas imploser, qu'il tentait de conserver un calme factice. il est si facile à briser, abrahel. l'équilibre qu'il affiche, la mascarade dans laquelle il s'est lui-même plongé, ils sont si simples à détruire. darwin le détruit dans ce couloir, il le détruit avec de simples mots. il ne devrait pas être atteint par un déchet comme garcia, pourtant regardez-le là. rampant. priant quelque sort d'être clément avec lui, quelque dieu de le libérer de cette situation infernale.

* tu es très attaché, je trouve. c'est mignon.

qui était garcia pour prétendre parler d'adulte à adulte ? les voyait-il vraiment comme des égaux ? eux ? il manque de s'esclaffer, mais son rire amer se tarit dans sa gorge. au lieu de ça, il lève finalement la tête, perce le plus vieux d'un regard meurtrier.

on essaie de lui enlever son dû et abrahel a toujours été attaché. il n'est pas prêt de laisser hyunbin s'évader, il n'est pas prêt de laisser qui que ce soit les séparer. pire, il a peur qu'on l'abandonne, peut-être.

* mes affaires ne regardent que moi. tu n'es pas un saint non plus, si je ne m'abuse.

peut-être c'était lui, le jaloux. il se sent idiot, misérable. lui qui voulait tant retenir hyunbin par peur de se retrouver seul - seul, encore. hanté par une chose dont il tait le nom, comme s'il voyait encore le sang tacher ses mains délicates. peut-être que la danse qu'il a cru déceler ses derniers temps, la petite comédie à laquelle il a assisté de loin
l'avait blessé
sans raison
ah, fleur. douce fleur, délicate fleur. comme il l'avait rêvé maculée de sang, elle aussi. abrahel, étouffé par une jalousie écœurante, qui le rendait monstre. peut-être que leur manège le rendait malade, à ses deux jeunes gens innocents. et lui, le monstre, à l'écart, abattu par la solitude.
oh, oui. la souffrance qu'il s'infligeait lui-même l'accablait.

* personne n'est à-même à faire des reproches ou des menaces à qui que ce soit ici, alors lâche-moi, darwin.

abrahel aurait pu être un terrible diable s'il s'était joué des bons sentiments d'autrui; si à l'instar de clyde tanoshi, il s'était ri de ceux qui l'aimaient. mais non, abrahel y attache beaucoup d'importance. il attache beaucoup d'importance à ce fatras d'émotions qui le traverse quand hyunbin se montrait doux envers lui, il attache beaucoup d'importance à la disparition de sa solitude.

* peut-être bien. peut-être bien que je suis égoïste.

ce n'est pas une remise en question, c'est un fait, il assume son égoïsme, ne fait qu'un avec cette envie d'être parfait, c'est ce qu'il veut, voilà. il a décidé, qu'il serait égoïste. et qu'importe si cela les mène tous en enfer, il se rirait des conséquences, voilà ce qu'il conclut.

il y a un sourire sardonique qui se peint sur son visage éthéré - ses yeux se teignent d'une lueur cruelle, un rouge vif recouvre sa vision - il peint darwin de rouge, un rouge sang, écarlate. peut-être que darwin ne méritait pas tant, peut-être qu'une froide ignorance aurait été mieux, mais abrahel se plie toujours en quatre pour ceux qui lui font ressentir la moindre émotion. ainsi il lui donne, il lui donne beaucoup, il lui donne tout en cet instant. toute la rage qu'il éprouve, tout ce qui le torture, ça y est, c'est pour lui.

c'était bref, c'était brusque et vif - il a tendu le bras et planté ses ongles dans la peau fine du cou de darwin, jusqu'à faire perler le liquide sombre, qui serpente sur ses doigts. une force qu'on ne lui soupçonnait pas, lui qui est si frêle et délicat - pourtant il a réussi à le faire reculer d'un pas, voire deux, jusqu'à ce que le dos du plus grand heurte le mur froid.

* je te demande juste de nous laisser tranquilles.

il n'y a rien à tirer de cette agression, même pas le moindre plaisir. il ne fera rien de plus, rien de moins. ce n'était peut-être qu'une menace, dont il est prêt à assumer les conséquences sanglantes, peut-être sans même se débattre ; comme une poupée de chiffon, il garde sa poigne atrocement serrée sur son cou, mais ne bouge pas, son regard planté dans le sien.

peut-être que c'était une vengeance dont darwin ne saurait rien; des représailles pour l'avoir fait souffrir sans le savoir, pour avoir remué un couteau dans ses plaies. était-il en train de se protéger, de protéger hyunbin ? ou peut-être était-ce juste son esprit qui ne suivait plus, ses instincts qui reprenaient le dessus.

il semblait s'être calmé, mais la poigne de fer sur sa peau est comme un coup de tonnerre qui l'ébranle, et soudainement il se retrouve à se débattre comme une furie. tous les moyens sont permis, tous les coups sont de bons coups, pour peu qu'il parvienne à déstabiliser darwin, ne serait-ce qu'un instant - pour reprendre l'avantage. il usait de griffures et de morsures pour faire lâcher le plus vieux, pour faire mal quitte à se faire mal tout seul dans la foulée, quelle importance.

peut-être qu'ils avaient besoin de se libérer d'une tension qui pesait sur leurs épaules depuis trop longtemps. certains se dénudent pour se libérer, eux se saignaient sans pitié dans les couloirs vides du bâtiment ivoire. et dieu merci qu'ils soient vides, qu'aurait-on dit si on les avait trouvé là, à se battre comme des chiffonniers ?

il avait profité de l'avoir bien en face de lui pour lui adresser un coup de genou bien senti entre les jambes. il avait l'avantage d'avoir des réflexes et d'être rapide, ce qui pouvait palier à un manque parfois certain de force. si l'adrénaline pouvait aider de temps en temps, abrahel ne pouvait pas compter sur le prochain coup de speed pour triompher s'il devait vaincre là, maintenant. il avait ponctué son coup en tentant de le frapper au ventre ; il n'était peut-être pas des plus puissants mais il savait exactement où viser pour lui couper le souffle.

oh, comme il se détesterait d'avoir fait ça. comme il haïrait de s'être donné en spectacle. quoique ? les remords ne semblaient pas l'étouffer depuis l'enfance. il lui avait montré son vrai visage le temps d'un instant, mais c'était de bonne guerre, n'est-ce pas ? il ne savait pas. il ne savait rien.

il s'était libéré de l'emprise de darwin et, après avoir reculé d'un pas, incertain, vacillant, observait son adversaire sans mot dire; il n'y avait plus rien à dire, seulement des coups à s'échanger. le sang battait à ses tempes, l'assourdissait. le mauvais ange regardait l'homme bêtement, sans savoir comment agir maintenant qu'il venait de frapper.

ils se connaissent, tous les deux.
darwin est dans ses souvenirs, un brin d'instant - ça lui revient, soudainement. ces yeux noirs il les a déjà vu, un regard de jais qui se pose sur lui juste avant qu'il ne soit jeté dans une voiture et qu'il ne s'enfuit. la portière qui se referme sur abrahel, ange déchu couvert de sang, permet à leurs yeux de se croiser l'espace de quelques secondes.

ça le frappe et il reste figé, bouche bée, contemplant darwin et son dernier avertissement. mais il ne bouge pas, malgré l'invective. ça lui parait inutile, dénué de sens.

il semble être reparti en arrière soudain, lui qui était si jeune, si frêle, qui avait tant de liquide sombre sur les mains. il voudrait presque esquisser un sourire amer - au moins pour saluer l'ironie de la chose, mais il ne trouve pas la force.

il aurait aimé rire. mais il se contente de détailler le plus vieux, le regard vide, froid. est-ce qu'il se souvient ? le flic. c'était un parmi d'autres, mais ce fut le seul qui parvint à accrocher son regard, le seul qui parvint à échanger un instant de silence, de flottement avec abrahel. c'était marquant. le moment où tout semble s'arrêter. l'espace d'une seconde. on l'avait ballotté jusqu'à la voiture parce qu'il était trop faible pour s'y traîner, mais que ce serait-il passé s'il était resté là ? l'aurait-on attrapé ?

il ne sait rien.
le retour en arrière est flou - mais il se souvient de son regard. il esquisse finalement un petit sourire, presque amusé.

et les faux dieux, qui teintent les murs blancs de liquide sombre.
il se laisse faire, poupée de chiffon inanimée dans la poigne cruelle de darwin, il a les yeux mi-clos; finalement ses mains se lèvent pour aller chercher la sienne, tenter de lui faire lâcher les longs cheveux d'abrahel. il se défend, tout du moins il essaie; mais il faut dire que ce premier coup l'a beaucoup sonné, lui qui était le seul à les distribuer depuis le début de l'altercation.

ce n'est pas la première fois qu'il se bat ; c'est la première fois qu'il ne se bat pas pour sa vie. peut-être bien que darwin va le tuer, dans un final grandiose et une giclée de sang démesurée. pourquoi pas. mais abrahel est tenace, et il faut bien croire qu'il ne se laissera pas faire, au vu de ses éclats de vitalité précédents. il grogne, essuie du revers de la manche l'affront que darwin lui a fait. ah, oui, quel grand héros.

sa remarque ne l'atteint pas, mais elle avait eu au moins le mérite de le faire sourire. après tout, c'était une réflexion purement représentative de la pensée astérienne. c'était plutôt beau, le spectacle que darwin lui offrait, mais il avait des envies de meurtre, à l'instant. en fait, il voulait rayer son visage de la carte; l'effacer pour toujours de son champ de vision.

* disons que... je suis à la hauteur de ma réputation.

il avait su supporter diverses remarques sur son apparence physique ou sur sa façon de se comporter auparavant, ce n'était pas le grain de sel de darwin qui allait le faire exploser. tant mieux, cela relevait du miracle. darwin avait un talent très développé pour jouer avec ses nerfs.

* vas-tu encore me frapper ? j'aimerais bien voir ça.

il l'observe faire; bienheureux d'être enfin libéré de son emprise froide, cruelle. ses yeux se teintent de mépris et il soupire doucement, inaudible. il n'y a pas que le goût du sang qui est amer dans sa bouche, il y a la finalité de cette rencontre qui le laisse de marbre. il l'observe s'éloigner sans un mot. il n'a pas peur de darwin; non; toujours pas. il a envie de se rire de lui mais il n'est pas d'humeur à rire, parce qu'il a honte de lui, de ses agissements, de la capacité qu'il avait à se laisser aller aussi rapidement.

* on verra ça.

il joue la carte de l'insolent désormais. maintenant qu'il n'est plus menacé, il laisse un petit sourire narquois se dessiner faiblement sur ses lèvres. il observe sa joue rougie, puis l'homme qui s'éloigne; et imagine qu'il n'a rien pour lui faire garder le silence.

voilà, il n'y a plus rien à rajouter. il garde un souvenir amer de darwin garcia, il plisse les yeux et finit par s'éloigner à son tour, laissant le couloir vide.