can i ask you kind of a weird question ? ft. liam le suspect

bon, cette fois c'est la bonne, c'est décidé. Bic en avait marre de se creuser la tête et de se poser des questions sans réponses en observant ce prof qui, à ses yeux, était très suspect. Il n'avait aucun ordre précis lui ordonnant de mener sa propre enquête sur ce type à vrai dire, mais il espérait avoir tout de même le soutien de sa hiérarchie. Après tout, il est payé pour surveiller tout ce qui se trame, pas juste les élèves et ce pauvre gamin un peu bête mais tellement attachant...

C'est justement en suiv... en accompagnant avec bienveillance Nuni lors de ses journées de cours pour l'aider à suivre et plus ou moins remplir son rôle de tuteur spécialisé qu'il l'avait croisé pour la première fois, en train de faire cours à un autre groupe. Rien qu'à sa tête, il avait eu du mal à l'apprécier, cet homme. Il avait un je ne sais quoi... ... En fait c'est simple, il avait la tête du type très séduisant qui réduisait régulièrement ses propres chances à zéro. Plusieurs personnes lui ressemblant surgissaient de sa mémoire avec tout un tas de souvenirs plus ou moins désagréables. En plus il devait faire au moins une dizaine de centimètres en plus, ce qu'il trouvait un peu humiliant, pour être franc.

Et sa façon de parler faisait sonner quelques alarmes dans sa tête, sans trop savoir pourquoi. Le surveillant avait décidé de se fier à son instinct car il ne lui avait jamais fait défaut et ne lui pourrissait la vie que lorsque sa malchance légendaire entrait en jeu. Mais ce soir là, il était sûr que tout allait bien se passer. Lassé de l'observer en coin en faisant semblant d'expliquer à ce qui ressemble à son fils adoptif comment faire des équations, il se dit que le plus simple était de confronter directement le problème en allant lui parler et en essayant de jauger le genre de personne que c'est.


Un soir, alors qu'il allait dans la salle commune pour fumer une fois le couvre feu passé et les élèves endormis, Bic remarqua sa cible dans la pièce, qui ne l'avait pas encore vu. Ce n'était peut être pas exactement le moment rêvé quand il voit qu'il a gardé sa chemise un peu froissée de la journée, mais est-il jamais vraiment présentable avec ses cernes plus creusées que le canal de Suez ? Pour essayer de se donner une contenance et pour apparaître plus détendu il fouille le fond de la poche de son pantalon pour trouver son briquet et allumer la cigarette qu'il tient déjà entre ses doigts, mais sa main n'accroche que du vide. ... c'est.... c'est embêtant.

Non, de toute façon, quand il faut y aller, il faut y aller. Et ça fera peut être une approche un peu plus subtile que ce qu'il avait en tête, ce n'est pas si mal. Un pas, puis deux... Il s'approcha avec assurance, essayant de ne pas lui faire un sourire trop crispé.

* dis, t'as du feu ?

On ne dirait pas forcément, comme ça, mais Bic est un peu stressé, on ne va pas se mentir. Il ne sait pas encore exactement comment son collègue va réagir à sa conversation et s'il va se rendre compte que c'est plus proche d'un interrogatoire que d'une petite discussion amicale entre collègues qui se connaissent à peine autour d'une cigarette.

Heureusement, ça ne commence pas si mal que ça si on oublie le fait qu'il est obligé de lever les yeux pour parler, ce qui le froisse un peu. Et ses yeux... Il n'avait jamais vraiment remarqué ses yeux, après tout il s'était contenté de l'observer de loin, mais il est plutôt sûr qu'il n'apprécie pas énormément ces pupilles dorées. Allez savoir pourquoi, est-ce de l'instinct ou de simples préjugés, mais ça ne fait que confirmer l'étrange impression qu'il a et son envie d'en savoir plus que ce que le maigre dossier que lui et ses collègues ont constitué sur les enseignants contient. Il doit y avoir quelque chose de réciproque là dedans car l'autre prend aussi quelques secondes pour l'observer.

Bic prend le briquet qu'on finit par lui tendre et répond par un sourire.

* merci, j'dois avoir paumé le mien quelque part... pendant quelques secondes, cette idée l'inquiète. j'espère que c'est pas un élève qui l'a récupéré.

Il ne s'inquiète pas sur le fait que des élèves pourraient mettre le feu au pensionnat, après tout peu sont assez fous pour tenter de brûler la seule habitation présente à des kilomètres à la ronde, mais il a plutôt peur que des élèves se blessent avec. ... Pendant quelques brèves secondes il imagine par exemple Nuni qui se retrouve avec son briquet dans les mains, ce qui ne serait pas impossible vu le nombre d'heures par jour qu'il passe à côté de lui : presque chaque minute qu'il ne passe pas à compléter un rapport pour ses chefs, à vrai dire. Cette simple idée fait parcourir un frisson le long de sa colonne vertébrale en pensant à toutes les façons qu'il aurait de se mal accidentellement...

Il essaye de se rassurer en se convaincant qu'il est probablement par terre quelque part dans sa chambre et chasse ces idées inquiétantes en allumant enfin sa cigarette maintenant entre ses lèvres. Il prend une grande bouffée, laisse son corps se relâcher et ses épaules se détendre, oubliant quelques instants tous les problèmes de la journée et des autres jours à venir. Il rend le briquet à son propriétaire.

* c'est pas un très bon exemple devant les gosses mais j'en ai trop besoin... surtout quand je pense à ce qu'on fout ici.

... bon, d"accord, là, Bic a fait une sacrée connerie et s'est peut être un peu trop relâché. C'est tout le problème avec ce foutu travail : il crève d'envie de se plaindre pour se détendre un peu mais ça finit toujours mal et avec le risque de lâcher des secrets défense... Il espère que l'autre ne remarquera pas l'énormité de sa bourde. Le surveillant a toujours les moyens de sauver les meubles en parlant juste du fait qu'ils sont perdus au milieu de la montagne dans de vieilles bâtisses qui risquent peut être de s'écrouler et un manoir délabré dont l'entrée est barricadée et l'accès formellement interdit et non, voyons je n'ai aucune idée de ce qu'il y a dedans.

En même temps, c'est peut être un moyen de jauger le type en face de lui ? Il ouvre la fenêtre et s'appuie nonchalamment sur le rebord avant de lui jeter à nouveau un regard qu'il essaye de rendre complice.

* tu trouves pas cet endroit vraiment bizarre ?

vous vous observez tous les deux. un observateur extérieur penserait sûrement à deux chats de gouttière qui empiètent sur le territoire de l'autre et essayent de se jauger pour voir qui aurait le dessus s'ils décidaient de se battre. Le plus grand des deux froncent même les sourcils, ce n'est pas très bon signe, ça, non ?

Pourtant, le surveillant sort un paquet de cigarettes en plus ou moins bon état et le tend à son collègue avec un oui, pas de souci, tiens cordial. On pourrait croire que c'est une simple discussion amicale entre deux collègues qui se connaissent peu mais ont au moins en commun certaines mauvaises habitudes pour leur santé.

Mais Bic... Il sent une certaine tension, même s'il a assez d'expérience pour savoir qu'ils n'auront pas à se battre. Tout ce qu'il veut, à vrai dire, c'est être sûr que ce type n'empêchera pas les élèves d'accomplir leur lourde mission, aussi difficile qu'elle puisse être pour eux... et pour lui. Personne n'a à s'en mêler, ses chefs ont rendu ce point assez clair pendant d’innombrables réunions et maintenant pendant leurs incessants appels depuis que la mission a commencé, que ça lui plaise ou non, maintenant qu'ils sont lancés il faut aller jusqu'au bout et on aura le temps de se poser des questions plus tard sur la moralité, l'éthique ou que sais-je. Il s'enferme bêtement dans son envie de faire le travail correctement pour dormir sur ses deux oreilles et suspecte n'importe qui qui pourrait interrompre cette mission, tout simplement. D'où sa méfiance des adultes, quels qu'ils soient, même ceux envoyés par les forces de l'ordre, des chiens fous et cupides, à ses yeux. Mais quelqu'un qui n'en sait pas encore grand chose... C'est dur de se faire un avis, pas vrai ?

Surtout quand on essaye de ne pas tout balancer d'un coup.

Il ne peut que fixer les yeux dorés qui le regarde et se demander s'il n'en a pas un peu trop fait. En même temps, n'importe quel adulte dans la confidence ou non trouverait cet endroit étrange, non ? Des manoirs perdus au milieu de la forêt, pourquoi sont-ils là, à vrai dire ? Ce bâtiment abandonné... Il n'a que quelques réponses et ça le frustre, s'il avait quelques heures de plus dans sa journée il aurait sûrement mener sa propre enquête dans le dos de ses chefs pour répondre aux questions qui les poussent tous à jouer les durs d'oreille. Il en sait trop et pas assez à la fois... Et le gars en face, à quel point est-ce qu'il joue l'ingénu ? Qu'est-ce que sa posture peut bien indiquer ? Contrairement à ce que son travail laisse supposer, Bic est loin d'être le roi des devinettes. Un cador sur le terrain, promis à de belles médailles et... bon, tant pis, on va l'emmener aux renseignements, on lui doit bien ça, il a juste pas de bol. Et à cause de cette malchance qui le poursuit il se retrouve là, à se torturer le cerveau en souriant à moitié, essayant de bien faire son travail alors qu'il n'a aucune idée de comment il doit s'y prendre.

Est-ce qu'il peut croire son impression sur son ressenti ? Est-ce qu'il ne serait pas juste en train de se torturer le cerveau alors que le type lui répond normalement ? ... Et qu'est-ce qu'il peut bien lui répondre ? Il repense à ces heures de réunions et de briefings qui n'ont visiblement pas servis à grand chose vu les souvenirs flous qu'il en garde, hormis quelques recommandations. Surtout, pas les élèves.

* bah, c'est des gosses comme les autres, non ? il se demande un instant si l'autre ne parle pas des élèves comme nuni, un peu... spéciaux quand il dit qu'ils sont bizarres, mais décide de ne pas relever. nan, j'veux dire, les lieux. un manoir au milieu de la forêt, un bâtiment barricadé... j'pensais qu'ils auraient mieux pour l'élite.

Le regard tourné vers le fameux bâtiment, il fronce les sourcils. Il a une idée plutôt précise de ce qu'il y a dedans mais il est persuadé qu'on lui cache aussi des choses. Il essaye de se concentrer sur ce sentiment, ça le rendra probablement plus crédible aux yeux du type qui semble se tortiller comme une anguille face à ses questions.

* j'aurais cru que le gouvernement aurait la thune de les foutre dans un préfabriqué à la capitale où il y a du réseau...

il ne s'attendait pas à ça, en allant parler à un collègue. enfin, parler... oui, d'accord il voulait essayer de jauger le gars, savoir ce qu'il pense, mais... le mec devait être à cran, non ? ou sacrément parano, vu les questions qu'il se met à poser et le regard qui essaye de le fusiller sur place.

... bon. il ne s'attendait pas exactement à ça. peut être qu'il n'est pas si subtil qu'il aimerait le croire, à vrai dire. ... peut être qu'il ne l'est pas du tout. ce n'est pas car il possède des vêtements civils qu'il a soudainement changé de façon d'agir, à vrai dire.

mais croire qu'on a réussi à le coincer simplement en lui taxant une clope et en le fixant avec un ton pas si poli que ça après seulement quelques minutes de discussion... c'est un peu prétentieux, non ? c'est même carrément gonflé, de s'imaginer qu'il va rester là, l'écouter gentiment et répondre à ses questions.

* ok la parano. putain, Sherlock... allez, à un de ces quatre.

en s'éloignant lentement, il réfléchit déjà aux mots qu'ils tapera dans son rapport, cherchant à expliquer à quel point ce type est un con et si on pouvait le renvoyer ou l'inciter à démissionner ce serait quand même bien sympa.

* quel tocard, n'empêche.